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AIDS 2022, morceaux choisis

par | 20.08.2022

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Cet article vous propose de découvrir des sessions et des présentations scientifiques de la conférence mondiale AIDS 2022 sélectionnées parce que nous les avons suivies et qu’elles présentent un intérêt particulier que nous souhaitons partager.

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Dans une session de présentations orales sélectionnées par la présidence de la conférence pour leur intérêt, Annie Luetkemeyer nous a présenté les résultats de l’étude Doxypep. Ce résultat présente un intérêt d’autant plus grand que c’est la première étude randomisée sur l’usage de la Doxycycline en prophylaxie des IST post-exposition après les résultats que Jean-Michel Molina avait présenté à la CROI 2017 (voir notre article) et publié dans le Lancet en 2018 de la sous-étude du même concept organisée lors de la phase ouverte de l’essai IPERGAY. L’oratrice de ce jour cite abondamment ce résultat de 70% de réduction des infections à chlamydia et 63% de réduction des syphilis obtenus à l’époque comme preuve de concept à la base de l’étude Doxypep. Cette nouvelle étude est une étude comparative en ouvert menée avec des HSH et des femmes trans qui sont soit PVVIH soit suivi sous PrEP. Dans chaque cas, l’étude a comparé un groupe soumis au protocole de prophylaxie post-exposition à un groupe sans intervention. Le protocole suivi est une mise à disposition de doxycycline pris à la demande en cas de rapports sexuels sans préservatifs. L’étude a eu lieu à San Francisco et Seattle. Finalement, c’est le comité indépendant de l’essai qui a recommandé l’arrêt du recrutement en raison d’un résultat hautement significatif dans les deux cohortes (PVVIH et sous PrEP). La vue suivante montre le détail des réductions du nombre de cas diagnostiqués au cours de l’étude dans les deux groupes des deux cohortes.

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L’étude conclue donc à un intérêt certain de cette prophylaxie bien tolérée qui nécessite, selon les auteurs à être validée par une étude plus large. La question du risque de développement de résistance du gonocoque aux tétracyclines, considéré dans cette étude comme inférieure à ce qu’elle était dans l’étude IPERGAY (20% aux US vs 56% dans IPERGAY) est aussi une question qui reste à approfondir.

Gageons que ce seront des questions résolues avec les résultats de l’étude française DOXYVAC qui est actuellement en cours (voir notre article).

Conséquences métaboliques des nouvelles classes d’antirétroviraux

Le samedi se tenait une de ces sessions originales où l’essentiel des présentateurs étaient à distance. Elle n’en n’était pas moins extrêmement instructive sur de nombreux aspects qui nous intéressent ou qui suscitent encore bien des questions. Le thème général était l’interaction des antirétroviraux les plus utilisés aujourd’hui avec le métabolisme et les conséquences que cela peut avoir.

La première présentation de ce symposium a été donnée par notre compatriote, le Pr Jacqueline CAPEAU de l’université Paris Sorbonne. Comme elle le rappelle dans son introduction, au début de l’ère des trithérapies, la question des troubles métaboliques des antirétroviraux était essentiellement due aux analogues nucléosidiques de l’époque qui provoquaient des lipoatrophies et aux antiprotéases, cause d’accumulation de graisse au niveau tronculaire, ce qu’on a qualifié de lipodystrophies. Aujourd’hui, avec des médicaments comme les inhibiteurs d’intégrase ou le TAF, on observe une prise de poids globale chez certaines personnes. Rappelons que le tissu adipeux est lui-même un réservoir de VIH. D’une manière générale, les PVVIH ont un indice de masse corporelle plutôt inférieur aux autres. D’autre part, cet indice de même que le tour de taille augmentent avec l’âge.

L’initiation d’un traitement antirétroviral avec un inhibiteur d’intégrase est associé à une prise de poids de même que le TAF plus que les autres agents de la même classe. En fait le gain de poids est associé à la remontée des CD4 comme un phénomène lié à une amélioration de la santé. Observé dans la cohorte ANRS CO04, le gain de poids des personnes mises sous traitement précoce est en moyenne de 1kg, à comparé aux prises de poids jusqu’à 10kg de personnes mises en traitement tardivement. Mais ce gain de poids se manifeste aussi chez des personnes déjà traitées qui changent de traitement pour un inhibiteur d’intégrase (étude REPRIEVE). De même pour les personnes qui passent de TDF à TAF (cohorte OPERA). La synthèse de nombreuses études permet de résumer ainsi (image) les facteurs de modification de poids.

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Peut-on expliquer ces effets ? les facteurs de risque sont nombreux mais seuls quelques-uns sont connus. La prise de poids peut aussi résulter de facteurs extérieurs à la maladie, arrêt du tabac, prise de certains médicaments, confinement, modification du style de vie. Cela étant, il n’a pas été observé jusque là d’augmentation du risque cardiovasculaire ni de diabète, associés à ces gains de poids hors du risque connu lié à l’indice de masse corporelle. Et par ailleurs, le profil lipidique est globalement meilleur avec des anti-intégrases qu’il l’est sous antiprotéases. Il reste à montrer si ces effets sont réversibles.

Dans une deuxième présentation, le Dr Isabel Cassetti de Buenos Aires, Argentine, a essayé de rassembler ce que l’on sait des problèmes métaboliques qui peuvent se poser avec les antirétroviraux chez les femmes ménopausées. Elle conclue surtout que peu de données spécifiques existent parce qu’il y a peu de femmes dans les essais et les cohortes de recherche clinique qui ne considèrent pas la question des femmes ménopausées comme un point d’intérêt en soi. Il est donc nécessaire d’adresser cette question de recherche afin de pouvoir améliorer les recommandations de prise en charge. S’il n’y a pas vraiment de traitement à recommander, on sait, en revanche, les ARV qu’il faut éviter pour ne pas aggraver les risques cardiovasculaires, les questions de densité minérale osseuse ou la prise de poids qui sont des aspects particulièrement sensibles pour les femmes vivant avec le VIH ménopausées. Mais il faut aussi tenir compte des questions qui se posent à toutes les femmes.

 

La présentation suivante est remarquable en ce qu’elle aborde un sujet rarement présenté et qui pourtant suscite beaucoup de questions dans nos associations. Le Dr Emilia Jalil est une chercheuse de FIOCRUZ, un institut de recherche publique à Rio de Janeiro, Brésil. Elle nous propose ses « considérations autour des hormones et des populations trans et des conséquences métaboliques ». A noter aussi, c’est la seule présentatrice de la session présente à Montréal.

Les personnes trans sont disproportionnellement concernées par l’infection à VIH et ne serait-ce que pour cela, doivent être considérées comme une population particulièrement vulnérable. La transition n’est pas un processus simple et il appartient à chaque individu concerné de savoir comment il entend gérer son corps en adéquation avec son ressenti. La chercheuse explique ensuite de manière précise les processus d’hormonothérapie concernant d’une part la féminisation et d’autre part la masculinisation tout en précisant les effets métaboliques de ces thérapies. Elle précise que, dans un cas comme dans l’autre, les processus de transition par hormonothérapie induit une augmentation de la masse corporelle.

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Elle aborde ensuite la question des interactions entre antirétroviraux (ARV) et hormonothérapie (HT). Elle précise que les questions à se poser sont les interactions médicamenteuses possibles, l’efficacité et les effets indésirables. Face à l’insuffisance de données, les professionnels de santé ont tendance à avoir une attitude suboptimale de ces questions. Mais les personnes aussi peuvent avoir tendance à ne pas suivre les recommandations qui leur sont faites à cause de ces mêmes questions.

Il y a très peu de données dans les études cliniques concernant l’utilisation des ARV chez les personnes en transition. Quelques études récentes ont tout de même permis de montrer des conclusions sur l’utilisation de cabotegravir avec les hormonothérapies féminisantes grâce à des données spécifiques de grandes études cliniques.

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Il n’en demeure pas moins que les recherches sont insuffisantes. On manque d’études observationnelles, de données sur les personnes trans incluses dans des essais et surtout sur l’analyse spécifique de ces données. Le mauvais accueil des personnes trans dans les services conduit à des négligences voire à des défis de confiance de ces populations envers le système médical.

Pour clore cette session, le Dr Tristan J. Barber de l’Institut de santé publique de Londres aborde la question des personnes âgées. Un peu comme ses prédécesseurs, il regrette que fort peu d’études permettent de donner des réponses spécifiques à la question des ARV, et spécifiquement des nouveaux ARV, chez les personnes âgées. Une des rares études existantes a été publiée en 2021 et conclue « le Dolutegravir n’est pas associé à une augmentation de poids chez les patients gériatriques sous traitement antirétroviral » (Giovanni et al, AIDS May 1 2021). Si la question du poids et de ses implications est centrale, il ne faut pas négliger toutes les comorbidités associées à la vieillesse. La relation entre indice de masse corporelle et mortalité est différent de ce qu’il est chez des plus jeunes. Mais si les personnes âgées sont en augmentation dans les consultations VIH du fait du prolongement de la vie des PVVIH, elles sont peu représentées dans les études cliniques. La question du poids chez les PVVIH âgées reste donc posée.

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La question des comorbidités est à prendre en compte mais doit aussi être comprise à l’aune de la fragilité des personnes et doit être considéré comme un aspect individuel. De plus, pour les PVVIH âgées, il faut aussi comprendre que la durée de la vie avec le VIH est aussi à prendre en compte. Une personne de 70 ans qui a été diagnostiquée en 1994 a connu des atteintes de l’immunité et des effets des antirétroviraux qui n’ont rien de comparables avec une personne diagnostiquée en 2017. Les mécanismes et les biomarqueurs sont nombreux et font que, associés à l’histoire des personnes, chaque cas est individuel et doit être considéré comme tel. La réévaluation des observations dans le temps est importante afin de toujours rétablir les déséquilibres qui surviennent avec le temps.

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