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PrEP : l’essai iPrEx

par | 21.04.2011

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L’essai iPrEx démontre pour la première fois qu’une prise de TDF-FTC avant une exposition au virus permet de réduire le risque d’acquisition du VIH de 44% (intervalle de confiance : 15% à 63%) comparativement à des personnes suivies mais n’ayant pas reçu la molécule active.
Cet article propose un résumé de la méthodologie et des résultats de l’essai iPrEx, ainsi qu’une traduction des éléments de la discussion et des recommandations faites par les auteurs pour de futurs essais de PrEP.

La prophylaxie par antirétroviraux avant une exposition (PrEP pour Pre-Exposure Prophylaxis) consiste, pour des personnes séronégatives au VIH, à prendre des antirétroviraux avant une exposition potentielle au virus, dans le but de réduire les risques d’acquisition du VIH.

En 2006, le National Institut of Health et la fondation Bill and Melinda Gates ont financé un essai majeur de PrEP nommé iPrEx dont les premiers résultats ont été publiés en décembre 2010 dans the new england journal of medicine.
La méthodologie mise en place dans l’essai américain iPrEx consiste en une répartition aléatoire de 2499 hommes, ou personnes transgenres nées hommes (MtF), séronégatives au VIH, et ayant des rapports sexuels avec des hommes (dits HSH) afin de recevoir, soit une bithérapie anti-VIH (Tenofovir / Emtricitabine), soit un placebo quotidiennement.
Cette répartition aléatoire, en double-aveugle (ni l’investigateur, ni le participant, ne sait ce qu’il prend), permet d’évaluer au cours du temps si une différence dans le nombre de personnes ayant contracté le virus est constatée entre les deux bras de l’essai. C’est cette différence qui permet ensuite de calculer l’efficacité d’une PrEP quotidienne au TDF-FTC.
L’ensemble des participants a régulièrement été dépisté pour le VIH et a reçu des conseils de réduction des risques sexuels et des préservatifs.

Après 3 ans de préparation, l’essai iPrEx s’est déroulé dans 6 pays de quatre continents entre juin 2007 et mai 2010. Les 2499 participants étaient à 56% Péruviens, 15% Brésiliens, 12% de l’Equateur, 9% des Etats Unis, 5% Thaïlandais et 3% d’Afrique du Sud. Leur recrutement s’est fait entre juin 2007 et décembre 2009.
Il a ainsi permis de suivre 3324 personnes/années (La notion de « personne/année » permet d’avoir une unité de comparaison sur une unité de temps constante – ici 1 an).

Au total, 110 personnes ont été dépistées positives au cours de l’étude :

  • 10 l’étaient le jour de leur inclusion (et ne sont pas comptabilisées dans les calculs d’efficacité),
  • 36 personnes étaient dans le bras recevant la bithérapie, et
  • 64 personnes se trouvant dans le bras placebo.

L’essai iPrEx démontre pour la première fois, et de manière significative, qu’une prise de TDF-FTC avant une exposition au virus permet de réduire le risque d’acquisition du VIH. En effet, en recevant la bithérapie, le nombre de personnes ayant acquis le VIH est réduit de 44% (intervalle de confiance : 15% à 63%) comparativement aux personnes n’ayant pas eu accès aux molécules actives.

Une autre indication importante de cette étude est que, dans le groupe recevant la bithérapie, et parmi les personnes testées séronégatives, seules 51% présentent réellement le médicament dans leur sang. Ce taux chute à 9% parmi les personnes du même groupe ayant contracté le virus. Les auteurs en déduisent que la protection conférée par la stratégie de PrEP, corrélée à la détection des molécules actives dans le sang, est directement liée à la capacité des personnes à adhérer à la stratégie de PrEP, et à correctement observer la prise quotidienne du médicament.

Discussion

La prise quotidienne de TDF-FTC par voie orale accompagnée d’un ensemble de service de prévention a fourni une protection supplémentaire de 44% (intervalle de confiance : 15% à 63%) contre le VIH chez des hommes et des femmes transgenres ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes. Bien que cette valeur médiane soit significative, l’effet protecteur n’est pas aussi élevé que dans les hypothèses d’origines de l’essai construit pour montrer un effet protecteur meilleur que 30%.

Observance des prises

Alors que la prise rapportée par les participants des médicaments est élevée, les taux de TDF-FTC réellement mesurés sont sensiblement plus faibles.
Comme dans cet essai à destination des HSH, un autre essai proposant un gel microbicide pour des femmes hétérosexuelles (CAPRISA 004) a également montré que les hauts niveaux d’observance déclarés par les participants ne correspondent pas aux taux objectivement mesurés, bien plus faibles. Les auteurs recommandent ainsi d’adopter des stratégies permettant d’augmenter le confort des participants.

L’explication la plus probable du nombre important de personnes ayant des niveaux d’exposition indétectables au TDF-FTC est la faible prise de médicament. Les tests biologiques effectués permettent d’éliminer les hypothèses de faibles absorptions et/ou d’élimination rapide du produit. Le test de dosage intracellulaire utilisé permet de détecter la présence du TDF plus de 14 jours après la dernière prise. 
D’autres preuves du faible taux d’utilisation du médicament sont que, parmi les personnes ayant fait une séroconversion dans le groupe TDF-FTC :

  • il n’y a eu aucune émergence de résistance,
  • il n’est pas constaté de suppression de l’ARN viral,
  • il n’y a par ailleurs eu aucune preuve de séroconversions retardées, comme cela aurait pu être attendu.
  • Observance et risque d’acquisition

La faible observance des prises est liée à une augmentation des risques d’acquisition du VIH.
En recoupant des témoignages de participants n’ayant pas observés une prise quotidienne, déclarant des rapports anaux insertifs et sans préservatif, et n’ayant pas contracté le VIH au sein du groupe TDF-FTC, les auteurs concluent que :

  • l’activité biologique du TDF-FTC est persistante au-delà de 24 heures,
  • la protection est principalement due à la disponibilité du médicament, et non à d’autres caractéristiques des participants.
  • Observance et taux protecteur

D’autres essais sur des cohortes devront être effectués pour permettre d’affiner le taux protecteur réellement requis de TDF-FTC, tout en considérant qu’il dépend également du type d’exposition (par voie rectale ou par le pénis). Les auteurs recommandent que l’étude du taux protecteur soit intégrée dans la surveillance des futurs essais, des programmes, ainsi que des utilisateurs individuels. 
Un test de mesure pour les niveaux d’exposition au TDF-FTC à moindre coût et au long terme, tel que celui fourni par l’analyse sur les cheveux, serait utile une fois la méthode pleinement validée.

  • Observance et effets secondaires

Les effets secondaires peuvent avoir contribués à une utilisation moindre du médicament chez certains participants. En effet, comme pour le traitement de l’infection à VIH ou lors d’une utilisation d’une prophylaxie post-exposition (PEP / TPE), l’initiation de la PrEP au FTC-TDF a été associée à quelques symptômes dans un petit nombre de cas. 
Des effets secondaires non reportés par les participants peuvent avoir également causés une interruption des prises lors du démarrage de l’essai. 
Une observance au long terme pourrait être améliorée par le recours à des pairs et/ou des « counselors » capables de rassurer les personnes sur les effets indésirables.

  • Observance et placebo

Le design de l’essai impliquant un placebo peut aussi avoir contribué à une observance moindre que celle espérée initialement. 
Tous les participants ont reçu des informations leur expliquant que la pilule pourrait être soit un placebo, soit un médicament actif dont le bénéfice n’est pas prouvé.
Le développement de programmes ou d’essais en conditions réelles (avec la molécule active) pourrait fournir aux utilisateurs des informations plus claires sur les avantages escomptés et les risques, et cela pourrait accroître l’utilisation et l’efficacité de la prophylaxie pré-exposition.
L’engagement des communautés, couplé à d’autres recherches comportementales, est également nécessaire pour développer des méthodes de counseling qui accompagnent chaque type d’usage.

Sécurité des patients

L’initiation de la chimio-prophylaxie devrait être différée chez des personnes présentant des signes ou des symptômes de primo-infection.
En effet, et comme cela s’est produit chez les participants en primo-infection lors de l’inclusion au groupe TDF-FTC (test anticorps négatif, ARN viral non testé à l’inclusion, et se révélant positif à posteriori), la prise de la bithérapie en post-exposition a été liée à l’apparition de résistances du virus au FTC et à la lamivudine (3TC). Des moyens permettant d’accroître la reconnaissance des primo-infections sont à mettre en place indépendamment du fait que la personne présente des signes visibles d’une infection à VIH (température corporelle, détection d’anticorps anti-VIH).
Le dépistage utilisant une mesure de l’ARN viral devrait être réalisé à l’inclusion dès lors qu’il est disponible.

  • Capacité à détecter des effets subcliniques

Le niveau d’exposition au médicament plus faible que prévu peut avoir diminué la capacité de cette étude à détecter des effets secondaires pouvant mettre en jeu la sécurité des participants, et y compris celui de l’apparition de résistances au TDF-FTC.
Le traitement au TDF est connu pour entraîner une diminution de la fonction rénale. Une tendance à une élévation de créatinine (reflet d’une fonction rénale diminuée) a été observée dans le groupe TDF-FTC. La plupart des élévations se sont normalisées d’elles-mêmes, et n’ont pas été confirmées lors des tests suivants. Rappelons que des élévations de créatinine peuvent également être dues à la déshydratation, l’utilisation de la créatine, ou encore de l’exercice physique.

En complément de la preuve de l’efficacité du TDF-FTC en pré-exposition, de plus amples informations sont nécessaires concernant les éventuels effets cliniques qui peuvent influer sur la densité minérale osseuse, sur la fonction rénale proximale tubulaire, et sur l’émergence de résistances lors d’expositions à de faibles doses de médicaments.
Des phases de remontées hépatiques, notamment causées par l’arrêt du TDF chez des personnes vivant avec une hépatite B, n’ont pas été observées dans l’essai West-Africa, mais de plus amples informations sur ce point sont nécessaires. Les pistes évoquées ci-dessus sont à étudier dans les essais en cours et à venir de PreP.

Modifications comportementales

Les prises de risques déclarées ont sensiblement diminué après l’inclusion des participants, et sont restées moindres au cours de l’essai, comparativement à celles initialement déclarées.

Ce comportement plus sûr pourrait être lié aux services de prévention mis en place (tests, counseling et distribution de préservatifs), comme cela a également été observé dans un essai de PrEP au TDF réalisé chez les femmes d’Afrique occidentale. 
Les auteurs avancent l’hypothèse que le fait de prendre une pilule par jour a pu servir de rappel quotidien de l’imminence d’un risque. Et que cela pourrait avoir encouragé des stratégies de planification des rapports sexuels pouvant être associé à un risque VIH plus faible.

Au cours de futurs usages de PrEP, des changements de comportements peuvent survenir selon les bénéfices supposés et/ou attendus par chaque personne, et ce, bien que ce mécanisme de « compensation du risque » n’ait pas été observé lors d’une étude sur le TPE, où les bénéfices du traitement post-exposition étaient pourtant clairement explicités.

Conclusion des auteurs

Les résultats de l’étude iPrEx sur des HSH ne sont pas généralisables à d’autres populations telles que les hétérosexuels, les usagers de drogues par voie intraveineuse, populations pour lesquelles d’autres études de PrEP doivent être menées. En effet, ces populations n’ont pas les mêmes voies d’exposition au virus. Le régime optimal d’une PrEP efficace n’est pas établi.

Les modèles primates suggèrent l’utilisation du TDF-FTC, plutôt que du TDF seul pour une meilleure protection. Pourtant, le FTC est associé à des résistances alors que le TDF administré seul ne l’est pas. Bien que l’étude iPrEx ait été menée avec une pilule par jour, il apparaît que les niveaux associés à une protection peuvent être atteints avec un dosage moindre.

Dans notre étude, la prophylaxie pré-exposition par voie orale au TDF-FTC, chez les hommes et les femmes transgenres qui ont des rapports sexuels avec des hommes, répond à un important besoin de santé publique non résolu. La prévalence du VIH est plus élevée dans cette population que dans les autres groupes dans presque tous les pays.

Aux États-Unis, les taux d’infection à VIH chez les hommes et les femmes transgenres ont augmenté depuis le début des années 1990, affectant en particulier les sous-populations noires et hispaniques.

Cette étude n’a pas démontré la plus grande efficacité du counseling approfondi pour réduire les comportements à risque en comparaison au counseling standard.
Bien que la circoncision masculine protège partiellement les hommes hétérosexuels d’une infection, elle ne protège pas ceux qui sont exposés par la muqueuse rectale.

Les femmes hétérosexuelles ont été partiellement protégées par le ténofovir en gel vaginal 1% selon une étude récente. Cependant, la sécurité et l’utilité du ténofovir en gel topique (à application locale) pour un usage rectal n’est pas encore connue. L’étude iPrEx a montré qu’il y avait une protection plus importante dans le bras TDF-FTC dans lequel des personnes déclarent avoir eu des relations anales réceptives non protégées, ce qui est le principal mode de transmission du VIH chez les HSH, et qui augmente le risque de transmission aux femmes hétérosexuelles qui se livrent à cette pratique.

Les auteurs ont montré que des personnes présentant un risque élevé d’exposition au VIH peuvent être mobilisées pour participer à des initiatives de prévention et que la prophylaxie pré-exposition peut s’avérer efficace pour ralentir la propagation du VIH dans cette population.

Source :
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Ce premier résultat d’efficacité d’une prophylaxie pré-exposition pour réduire la transmission du VIH est à n’en pas douter une avancée majeure dans le calendrier de recherche biomédicale en prévention de l’infection à VIH. Cependant il faut bien analyser sa portée pour comprendre ce qu’il apporte sans défaitisme ni triomphalisme excessifs.
Le Pr. Jean-Michel Molina qui dirige l’équipe française s’apprêtant à démarrer un essai comparable nous l’a très bien exprimé lors d’une rencontre avec les associations organisée à l’ANRS au lendemain de la publication de ces résultats. Il expliquait que l’intervalle de confiance de 15% à 63% dans lequel se situe la valeur médiane de 44% affichée comme résultat de iPrEx nous donne une idée de la reproductibilité du résultat si, dans les mêmes conditions, on essayait la même chose. Autrement dit, à 63% ce serait effectivement un résultat extrêmement encourageant. Mais à 15%, selon la conception même de cet essai, c’est un échec.
D’autre part, la faible observance constatée dans iPrEx comme dans d’autres études comparables ne peut pas être disjointe du résultat. On était là dans un essai où les participants étaient très bien encadrés par les équipes de recherche prodiguant explications et conseils en prévention. Qu’en serait-il dans la vraie vie ?
Ces essais sont des recherches de la démonstration du principe de la PrEP. Il conviendra certainement ensuite de poursuivre les investigations pour savoir ce qu’on peut en attendre au niveau d’une population pour comprendre s’il s’agit d’une solution réellement efficace pour infléchir le cours de l’épidémie.

Mais d’ici là, bien d’autres questions devront trouver des réponses.