ARTICLES / IST ET HÉPATITES

Les Gays et le VHC

par | 12.12.2012

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Les gays et le VHC. L’étude Hepaig, la co-infection et la transmission sexuelle du VHC : un train peut en cacher un autre…

L’étude Hepaig a interrogé une cohorte de gays séropositifs au VIH, suivis pour une hépatite C virale aigüe. Elle décrit les caractéristiques cliniques de ces co-infections et les habitudes de vie, les pratiques sexuelles et les pratiques à risques de ces hommes. Elle propose aussi une analyse des sous-type de VHC – un élément de plus dans le débat sur la transmission sexuelle du VHC.

L’étude Hepaig sur les hépatites aigües

L’étude Hepaig a été financée par l’ANRS entre 2006 et 2007 pour estimer l’incidence des hépatites C aigües chez les HSH [1] suivis pour une infection à VIH. L’étude visait aussi à décrire les caractéristiques cliniques des co-infections VIH-VHC et les habitudes de vie et comportements sexuels des patients. L’enjeu sous-jacent à cette étude est notamment d’apporter des éléments quant à la transmission sexuelle du VHC, chez des gays qui ne déclarent pas prendre les risques habituellement associés à la contamination par le VHC (parentérale : partage de matériel d’injection ou de sniff, piercing, contamination nosocomiale, etc.)

L’ (in)disponibilité des résultats de l’étude Hepaig.

Certains des résultats du volet quantitatif de l’étude ont fait l’objet d’une publication mais ceux de son volet qualitatif ne sont pas encore disponibles, à part dans une présentation powerpoint que nous avons trouvée sur internet. Le sociologue responsable de l’enquête qualitative n’a pas fait suite à nos courriers : nous ne disposons que de la publication médicale dans la revue PLoSone, du protocole d’enquête et de cette présentation power point comme sources pour ce billet (cf. références et liens plus bas).

Les cliniciens de 290 centres de soins ont participé à recruter 80 patients homosexuels séropositifs au VIH, souffrant d’une hépatite C aigüe. Après avoir obtenu leur consentement, les cliniciens ont rempli un questionnaire sur les caractéristiques cliniques de leurs patients et de leurs pathologies. Ils ont recueillis des données concernant : l’âge, la date du diagnostic VHC et VIH, le stade clinique de l’infection à VIH, la concomitance d’infections sexuellement transmissibles, la charge virale VIH et VHC, le taux de CD4 et le génotype du VHC. Les cliniciens ont aussi recueillis des échantillons, qui ont permis de faire une analyse phylogénétique de l’infection VHC. Enfin, 53 des 80 participants ont accepté de remplir un questionnaire sur leur profil socio-démographique et leurs pratiques sexuelles et leur usage de drogues. On peut retrouver ces questionnaires dans le protocole de l’étude Hepaig.

L’étude Hepaig en bref

  • les participants : 80 homosexuels séropositifs au VIH souffrant d’une hépatite C aigüe
  • leur âge : 40 ans en moyenne
  • 17 ont été infectés par le VHC de génotype 4 et 14, par le VHC de génotype 1
  • dans 5 cas, il s’agit d’une surinfection au VHC [2]
  • 22 d’entre eux n’étaient pas sous traitement pour leur VIH au moment de l’hépatite C aigüe
  • 34 d’entre eux avaient un taux de CD4 inférieur ou égal à 500/mm3
  • 46 d’entre eux avaient une charge virale indétectable
  • 44 d’entre eux avaient eu une IST au cours de l’année

Le volet quantitatif de l’étude Hepaig

Alors que l’objectif premier de l’étude est d’estimer l’incidence des hépatites C aigües chez les homosexuels séropositifs au VIH, on peut se demander si un échantillon de 80 personnes, dont 16 des participants n’ont qu’une hépatite C « possible », est bien suffisant. La comparaison de l’échantillon des gays d’Hepaig avec celui du « Net gay baromètre » permet néanmoins de situer (un peu) la particularité de l’échantillon d’Hepaig par rapport à celui, plus important, de ce sondage des pratiques et perception de santé d’homo- et bi-sexuels sur des sites de rencontres en ligne. En cadrant ainsi les pratiques des participants d’Hepaig, l’équipe d’Hepaig montre qu’il existe un biais certain en ce qui concerne les pratiques à risque de transmission du VHC : par rapport aux 15 085 questionnaires des homo- et bi-sexuels francophones du « Net gay baromètre » les gays séropositifs aux VIH et VHC d’Hepaig avaient plus de partenaires, pratiquaient plus souvent le fist et le SM [3], avaient plus de rapports anaux non-protégés, et prenaient plus souvent du GHB et de la kétamine. Si Hepaig a ses limites, l’étude avance tout de même certaines conclusions qui valent le détour.

À objectif primaire, résultat primaire : Hepaig montre principalement que dans les 99 et 96 cliniques participantes, 56 et 46 gays séropositifs au VIH ont souffert d’une hépatite C aigüe, en 2006 et 2007 respectivement. Autrement dit, Hepaig décrit une incidence [4] de l’hépatite C aigüe chez les gays séropositifs au VIH de 0, 48% en 2006 et de 0,36% en 2007 ; des taux qui sont intéressants en soi étant donné que l’on ne connait pas l’incidence nationale de l’infection à VHC en dehors de cohortes spécifiques, comme les gays ou les usagers de drogues. Ce résultat n’est pas le plus percutant des enjeux de l’étude, même si on remarque que 64% de ces hommes sont en région parisienne. Un autre aspect de l’étude concerne plus particulièrement les gays qui ne déclarent pas prendre les risques habituellement associés à l’infection au VHC : c’est celui de l’analyse du génotype.

Pourquoi mesurer le génotype [5] des infections au VHC ? Pour le clinicien, connaître le génotype permet d’évaluer les modalités, durée et taux de réussite du traitement. Par exemple, et en prenant en compte la pluralité des autres facteurs cliniques, une infection au génotype 3 appelle le plus souvent à un traitement plus court, à taux de réussite plus élevé, qu’une infection au génotype 1, qui requiert un traitement de 48 semaines, et qui a un taux de réussite faible. Ensuite, l’analyse phylogénétique [6] permet d’identifier plus précisément les sous-types de virus dans le groupe étudié et, selon les similitudes et les différences dans les séquences, d’identifier des noyaux et les trajectoires de transmission. Ainsi, on peut retracer les groupes de personnes qui ont des virus similaires et déduire la dissémination de l’infection de personne à personne. En recoupant avec les comportements à risque qu’ont déclarés les participants, on peut déduire les différentes voies et modes de transmission du virus entre ces personnes. Autrement dit, l’analyse phylogénétique recoupée avec les prises de risques déclarées, permet de se faire une idée de qui contamine qui, et comment.

Ici, et c’est peut être un des points les plus importants à retenir dans le débat, Hepaig montre que, dans son petit groupe de participants français, la moitié des infections sont de genotypes 4d. En France, si le génotype 1a est le plus courant, dans cet échantillon il ne concerne que 44% des participants. C’est le génotype 4 qui est le plus représenté, avec 16 personnes infectées (50%). Et on remarque deux résultats importants : (1) les 15 patients gays concernés par le sous-groupe, ou noyau, de génotype 4d-IV étaient majoritairement parisiens et déclaraient des prises de risques sexuelles, saignement et usage de drogues récréatives, et (2) les génotype 4d sont des génotypes qui étaient auparavant associés à l’usage de drogues par injection par le passé mais qui, depuis, ont évolués pour devenir des groupes de virus distincts. Autrement dit, il existe aujourd’hui des homosexuels qui se sont contaminés par un virus qui se transmettait auparavant par partage de matériel d’injection de drogues, mais qui, en 2006-2007, se transmet au sein d’un petit groupe de gays parisiens qui prennent d’autres types de risques (voie sexuelle, sniff, piercing etc.)

Le volet qualitatif de l’étude Hepaig

Comme évoqué plus haut, l’étude comprenait aussi un volet qualitatif, avec un auto-questionnaire sur les caractéristiques socio-démographiques des 53 participants, leur parcours de santé, leurs pratiques sexuelles et leur usage de drogues, et des entretiens avec un sociologue.

Au sujet des pratiques sexuelles, Le Talec rapporte que les prises de risques liés au VHC de ces gays séropositifs au VIH sont fréquentes : la plupart des participants déclarent pratiquer des pénétrations anales non protégées plus ou moins régulièrement, même s’ils privilégient des rapports avec des partenaires séropositifs au VIH et pratiquent une certaine forme de réduction des risques (comme la séroadaptation).

Au sujet du traitement anti-VHC, Hepaig étaie les perceptions et les conditions d’adhésion au soin chez les personnes interviewées. On peut se rappeler ici au passage que le traitement pour l’infection à VHC, qui comprenait en 2006-2007 un ARV et de l’interféron, était assez lourd et généralement mal supporté par les patients, autant à cause des effets secondaires que des taux d’échec assez bas selon les génotypes. Le Talec explique que pour ces patients, la prise en charge médicale est perçue comme étant basée sur un socle solide, notamment entre le généraliste et le spécialiste et est généralement positive.

Par contre, quand il s’agit de l’entourage, les perceptions et les expériences sont plus négatives : si l’on compte sur son partenaire pour être soutenu et aidé, la famille et les amis sont plutôt source de stigma, de rejet et de honte.
Si le contexte social induit à se replier sur soi, il inclut aussi le travail ; ici, pour les participants, la question se pose en termes d’incertitude quant à ses capacités à continuer à travailler car il faut trouver un équilibre entre la gestion du traitement, de ses effets secondaires, des soins et les demandes physiques et psychiques du quotidien au travail.

Enfin, l’analyse des entretiens montre que lorsqu’il s’agit de l’intimité, elle est dominée par les difficultés relationnelles et souvent caractérisée par l’arrêt de l’activité sexuelle (cet article n’aborde pas ici les analyses quant aux perspectives futures des participants et leurs projection dans le long terme car les données publiées sont peu claires à ce sujet).

Les pratiques à risques des participants Hepaig

  • les participants au volet qualitatif d’Hepaig : 53 des 80 participants ont rempli le questionnaire sur leurs pratiques sexuelles et leur usage de drogues
  • 21 des contaminations VHC ont été rapportées au sniff (consommation de drogues par voie nasale)
  • 49 hommes ont déclaré avoir eu des rapports sexuels occasionnels avec des partenaires différents, dont 43 de manière non-protégée
  • 35 hommes ont déclaré pratiquer le fist [7] avec des partenaires occasionnels différents, dont 20, de manière non-protégée
  • 25 hommes ont déclarés avoir des saignements pendant les rapports sexuels, protégés ou non

La co-infection VIH-VHC

Pourquoi s’inquiéter de la co-infection ? La co-morbidité des infections VIH et VHC induit une prise en charge thérapeutique plus complexe et une progression de l’hépatite à une fibrose plus rapide. Autrement dit, les traitements sont plus difficiles à calibrer et à supporter, et moins efficaces. Ensuite, on peut s’en inquiéter car la mortalité des personnes co-infectées est plus importante. L’hépatite (virale et autre) est la 2e cause de mortalité chez les personnes vivant avec le VIH après le sida.

En ce qui concerne la particularité parisienne pour le génotype 4, il est d’autant plus inquiétant que, selon le Dr Jade Ghosn, « le génotype 4 répondant moins bien au traitement, c’est un vrai problème, surtout en cas de coïnfection par le VIH, généralement associée à un mauvais pronostic. » (Costa, 2009). Il continue et appelle à « faire campagne pour le dépistage, de penser au VHC à la moindre anomalie, et de marteler les messages de prévention », surtout chez les hommes qui ne présentent pas les comportements à risques habituels liés à la contamination VHC, mais qui ont des pratiques sexuelles à risques (dont des pratiques non-protégées, en groupe, avec un nombre élevés de partenaires, avec usage de drogues récréatives, ou encore porteurs d’IST, avec lésions visibles ou non).

Conclusion

Si Hepaig n’apporte pas de résultats définitifs et concluants concernant la contamination sexuelle du VHC, l’étude participe néanmoins à un faisceau d’éléments qui justifie bien un discours de prévention. Les prises de risques en question concernent en particulier les gays considérés comme moins à risque pour une contamination VHC (i.e. qui ne s’injectent pas de drogues et ne partagent pas ou peu leur matériel) mais qui ont des pratiques sexuelles non-protégées, avec saignements ou (micro-)déchirures muqueuses. Il faut bien se rappeler qu’à côté du VIH, le virus de l’hépatite C est à la fois plus petit, plus résistant à l’air et beaucoup plus infectieux. Nos foies sont déjà bien assez sollicités par les ARV : protégeons-les du VHC !

Voir aussi notre dossier Hépatite C

Notes de l'article :

[1] Hepaig cible les « HSH » ou hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes (de l’anglais « MSM », men who have sex with men, MSM). Ici on préfèrera le terme de « gays »

[2] surinfection : une infection au VHC chez une personne qui a déjà été infectée par un virus du VHC d’un autre soustype de VHC.

[3] L’équipe d’Hepaig parle de BDSM (Bondage, Domination, Sado-Masochism), traduit ici librement par « SM ».

[4] prévalence vs. incidence : On peut se rappeler ici que l’incidence est une mesure de risque : elle mesure le nombre de nouveaux cas d’infection sur une période donnée, rapportée ou non à un nombre de personne total. Elle est différente de la prévalence, qui elle mesure le nombre total de personnes contaminées à un moment donné, ancienne- et nouvelle-ment infectées.

[5] qu’est ce qu’un genotype ? cf. article « Le VHC. Qu’est ce que c’est et comment ça s’attrape ? »

[6] l’analyse phylogénétique consiste à identifier les séquences d’ADN d’un groupe d’organismes et de les classer en fonction de leur proximité les uns avec les autres. Selon les mutations dans les séquences, qui apparaissent et augmentent avec réplication des virus, on peut déduire l’évolution d’un virus dans le temps.

[7] fist : terme anglais qui désigne le poing, ici fist-fucking la pénétration anale du poing

Sources :