Du 15 au 18 octobre s’est tenue à Paris la 20ᵉ édition de la conférence européenne sur le sida, dans l’indifférence politique et médiatique. Ce rendez-vous scientifique majeur réunit chercheur·euses, clinicien·nes, militant·es et acteur·rices de santé publique de toute l’Europe autour des dernières avancées dans la lutte contre le VIH et les IST. Comme à chaque grande conférence, l’enjeu pour reactup.fr est de trier l’essentiel parmi une masse foisonnante de données, d’innovations et de débats. Nous avons donc sélectionné quelques temps forts sur l’actualité de la prévention, de la PrEP et des nouvelles options thérapeutiques en développement, avec un regard attentif sur leurs implications concrètes pour les personnes concernées et les politiques de santé publique. Première partie.
Un contexte économique, social et politique alarmant pour les associations et la recherche
Il faut bien le dire, ou plutôt le rappeler, l’édition 2025 de l’EACS (European AIDS Clinical Society Conference) s’est tenue dans un climat d’alerte maximal pour la lutte contre le VIH-Sida. Comme la CROI et l’IAS cette année, elle a mis en évidence une crise structurelle profonde : désengagement politique, coupes budgétaires, affaiblissement du tissu associatif et remise en cause du rôle de la science, notamment avec le retour de Donald Trump à la tête des États-Unis. Le tout à quelques semaines de la reconstitution du Fonds Mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, où la contribution de la France apparaît compromise, malgré les interpellations répétées de Sidaction, Aides et Coalition Plus.
Tout au long de la conférence, chercheur·ses, clinicien·nes, expert·es du VIH et acteurs·rices communautaires ont dressé un constat unanime : la lutte contre le VIH n’est plus une priorité, ni dans les politiques publiques nationales, ni dans l’aide internationale. Les financements dédiés à la recherche, à la prévention et à la mobilisation communautaire sont en baisse continue, un désengagement qui menace directement les acquis scientifiques des vingt dernières années. Cette fragilisation est aggravée par le gel récent de l’aide américaine via le PEPFAR (President’s Emergency Plan for AIDS Relief), dans un contexte de polarisation politique accrue aux États-Unis. Ce gel a déjà provoqué des perturbations dans la distribution de traitements antirétroviraux et dans le financement des programmes communautaires dans plusieurs pays d’Afrique subsaharienne. La situation illustre la vulnérabilité d’un modèle d’aide dépendant de bailleurs politiquement instables.
Lors de la première plénière du 16 octobre, Yazdan Yazdanpanah, directeur de l’ANRS-MIE, a tenté de répondre à une question simple et lourde de sens : « Are we prepared for pandemics ? » Cette interrogation, qui dépasse le champ du VIH, questionne la capacité des systèmes de santé à anticiper et à répondre collectivement aux crises sanitaires et sociales. En toile de fond, un message clair : la recherche sur le VIH a longtemps été un moteur d’innovation biomédicale et communautaire, mais ce modèle est aujourd’hui menacé par le sous-financement chronique, la montée des politiques autoritaires dans de nombreux pays et la fragmentation des politiques de santé publique.
Dans le même temps, certaines données présentées à Paris rappellent que l’épidémie reste loin d’être contrôlée. En Europe, Teymur Noori, du Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC), a démontré que la Région européenne de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) ne parviendrait pas à atteindre la plupart des objectifs fixés par l’ONUSIDA pour 2030. Les décès liés au VIH ont augmenté de 37 % entre 2010 et 2025, passant de 37 000 à 51 000 dans la région européenne, alors que l’objectif était une réduction de 75 % d’ici cette année et de 90 % d’ici 2030. En matière de nouvelles infections, l’ECDC estime qu’elles sont passées de 149 000 en 2010 à 156 000 en 2025 dans la Région européenne, soit une augmentation de 5 % au lieu de la réduction de 75 % escomptée. Ces hausses concernent majoritairement l’Europe de l’Est et l’Asie centrale, mais aussi les zones de conflit, notamment la Russie et l’Ukraine, qui comptaient déjà parmi les prévalences les plus élevées du continent avant 2010.
En France, la dynamique n’est pas épargnée. La réduction des moyens alloués à la prévention, aux associations et à la recherche se conjugue à un affaiblissement annoncé de l’aide publique au développement (APD) dans le projet de loi de finances 2026. Cette évolution compromet la contribution française à la réponse mondiale au VIH, alors même que l’engagement français est historiquement structurant au sein du Fonds mondial et de l’ONUSIDA.
A une autre échelle, et en particulier en Île-de-France, le constat est le même : les déclarations politiques ne sont pas suffisamment accompagnées d’actes, notamment en faveur des communautés les plus précaires, exposées au VIH ou vivant avec, et qui peinent à accéder à un logement décent ou à des structures de soins. La ville de Paris est certes une « ville-refuge », et elle a su mettre en place des structures innovantes comme Le 190 ou le CheckPoint, mais les personnes migrantes et/ou sans-papiers, les personnes trans et les travailleurs·ses du sexe y vivent parfois dans des conditions indignes et subissent de plein fouet la réduction des dispositifs de proximité.
Pour les associations communautaires, ce recul n’est pas abstrait. Il se traduit déjà par des réductions de postes, la suppression de dispositifs hors les murs et un accès plus difficile à l’information et à la prévention pour les publics les plus exposés. Comme l’ont rappelé plusieurs intervenant·es lors de la conférence, la perspective d’une élimination du VIH d’ici 2030, portée par ONUSIDA, demeure irréaliste sans un réinvestissement massif et durable dans les approches communautaires, socles de toute stratégie de santé publique efficace.
L’EACS 2025 aura donc servi d’avertissement. Sans réengagement politique, scientifique et communautaire, les acquis de la lutte contre le VIH sont menacés de régression. La recherche, la société civile et les systèmes de santé demeurent intimement liés ; les fragiliser simultanément, c’est affaiblir la réponse globale aux pandémies présentes et futures.
La DoxyPEP à l’épreuve des faits : efficacité confirmée, usages contrastés, enjeux sous-estimés
Quatre posters scientifiques récents – deux en provenance de Grèce, un issu de l’essai français ANRS DOXYVAC et une modélisation argentine – permettent de dresser un état des lieux précis des usages et de l’efficacité de la doxycycline post-exposition (DoxyPEP) dans la prévention des IST bactériennes chez les populations exposées.
Une prévention attendue et largement appropriable
Une étude grecque transversale menée auprès de 230 hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (HSH), consultant en clinique VIH/IST à Athènes entre février 2024 et mai 2025, montre que la stratégie de DoxyPEP est déjà largement connue dans les communautés. La moitié des participants (50,4 %) avaient entendu parler de la DoxyPEP, un taux comparable à celui observé aux États-Unis (46 %) ou en Belgique (40 %) selon Martinson et al. (AIDS and Behavior, 2025) et Vanbaelen et al. (Sexually Transmitted Infections, 2025). L’intérêt pour son utilisation est massif : 81 % déclarent qu’ils pourraient utiliser la DoxyPEP si celle-ci était disponible et 93 % souhaitent obtenir davantage d’informations. En revanche, les connaissances sont incomplètes, seules 13,9 % des personnes interrogées identifiant correctement les deux infections ciblées (syphilis et chlamydia). Un cinquième des répondants pense encore, à tort, que la DoxyPEP prévient la gonorrhée, alors qu’aucune donnée solide ne confirme une efficacité significative sur Neisseria gonorrhoeae en raison des résistances préexistantes à la doxycycline.
Cette étude pointe une inégalité d’accès à l’information au sein même des publics concernés : les usagers de la PrEP sont significativement plus informés que les personnes vivant avec le VIH. Cette donnée confirme ce que dénoncent depuis longtemps les associations : la circulation des innovations en santé sexuelle reste socialement stratifiée, captée prioritairement par les populations déjà proches du système de prévention.
Une efficacité solide contre la syphilis et la chlamydia
La seconde étude grecque apporte des résultats en conditions réelles d’utilisation. Dans cette cohorte prospective de 127 HSH suivis pendant une médiane de six mois à Athènes et éligibles à la prophylaxie (forte exposition sexuelle, antécédent d’IST récent), la DoxyPEP a été prescrite dans un cadre de soin routinier. Résultat : l’incidence de la syphilis chute à 1,9 cas pour 100 personnes-années chez les utilisateurs réguliers. La majorité des nouveaux diagnostics de syphilis survient chez des participants ayant interrompu la DoxyPEP plusieurs mois auparavant. Ces données corroborent celles des essais randomisés DOXYPEP (Luetkemeyer et al., New England Journal of Medicine, 2023) et DOXYVAC (Molina et al., Lancet HIV, 2023), qui avaient déjà montré une réduction de 65 % à 85 % des infections à Treponema pallidum et Chlamydia trachomatis chez les HSH sous DoxyPEP.
Adhésion : le facteur clé déterminant l’efficacité
Un troisième poster, présenté par l’équipe française de l’essai ANRS 174 DOXYVAC, apporte un éclairage essentiel sur le rôle de l’adhésion thérapeutique. En mesurant la concentration urinaire de doxycycline chez 296 participants de la branche DoxyPEP, l’équipe distingue les utilisateurs adhérents des non-adhérents. Résultats : les utilisateurs réguliers voient leur risque cumulé d’infection par chlamydia ou syphilis réduit de façon spectaculaire (3,7 infections pour 100 personnes-années contre 15,5 chez les non-adhérents). En revanche, aucune différence n’est observée pour la gonorrhée (55,3 versus 52,6 pour 100 personnes-années), confirmant que cette bactérie constitue une exception en raison de sa résistance fréquente aux tétracyclines.
La DoxyPEP en dehors du Nord global : une stratégie possible, mais fragile
Enfin, une étude argentine (Vega et al., 2025) modélise l’impact potentiel de DoxyPEP dans un contexte de système de santé sous pression. Dans cette cohorte de 179 usagers de PrEP suivis dans un hôpital public de Buenos Aires, 37 % ont contracté au moins une IST pendant le suivi, un niveau d’incidence équivalent à celui observé dans les cohortes européennes. En simulant une introduction de DoxyPEP avec une réduction de 73 % des IST (efficacité basée sur les essais DOXYPEP et DOXYVAC), les auteurs montrent que le nombre de personnes à traiter pour prévenir une IST serait même plus faible que dans les essais cliniques. Ils soulignent cependant un avertissement majeur : 28 % des participants avaient déjà reçu des antibiotiques à large spectre durant les 12 mois précédents, souvent sans justification claire, ce qui pose un problème de pression antibiotique et de résistances bactériennes.
Ce que disent ces quatre études
Ces quatre posters convergent vers des constats robustes :
– La DoxyPEP est massivement accepté par les personnes concernées, parce qu’il répond à un besoin réel de prévention.
– Son efficacité est désormais solide contre la syphilis et la chlamydia, en essai clinique comme en pratique réelle.
– Elle s’inscrit dans une prévention combinée : elle ne remplacera ni le dépistage régulier, ni la PrEP, ni le traitement rapide des IST.
– Son efficacité dépend de l’adhésion et donc de la qualité du suivi clinique.
– Il existe des risques réels de résistances bactériennes si elle est déployée sans stratégie ni cadre de santé publique.
Ces données renforcent ce que les acteurs communautaires et une partie du monde médical répètent depuis deux ans : il ne s’agit plus de déterminer si la DoxyPEP doit être utilisée, mais comment l’organiser pour garantir l’accès, le suivi microbiologique, et éviter de reproduire les erreurs faites au début de la PrEP – accès tardif, sous-information et inégalités.
Vaccination 4CMenB vs DoxyPEP : des résultats contrastés sur le portage méningococcique
Le poster présenté, entre autres, par l’équipe de l’ANRS-MIE issue de l’essai DOXYVAC apporte des données sur la prévention du portage pharyngé de Neisseria meningitidis chez les HSH utilisant la PrEP VIH. L’étude compare l’impact de la vaccination 4CMenB (Bexsero®) et de la prophylaxie post-exposition par doxycycline (DoxyPEP).
Sur les 544 participants, 531 souches méningococciques ont été isolées, majoritairement au niveau pharyngé (97,7 % des prélèvements). Contrairement aux hypothèses initiales, la vaccination 4CMenB n’a montré aucun effet significatif sur l’incidence du portage méningococcique. L’incidence ajustée du portage pharyngé est comparable entre vaccinés et non vaccinés, confirmant l’absence d’effet sur la transmission oro-pharyngée.
En revanche, la DoxyPEP entraîne une réduction modérée mais significative du portage pharyngé, suggérant un effet partiel sur la dynamique de transmission dans ce groupe fortement exposé. Cependant, cette efficacité s’accompagne d’un signal préoccupant en termes d’antibiorésistance : 30 % des souches exposées à la DoxyPEP présentent une résistance aux fluoroquinolones, contre 14 % dans le groupe sans DoxyPEP, alors qu’aucune différence de résistance à la pénicilline n’est observée entre les groupes. Les auteurs recommandent explicitement une surveillance rapprochée de la résistance antimicrobienne chez les usagers de DoxyPEP.
Sur le plan immunologique, la vaccination 4CMenB induit bien une réponse humorale systémique robuste, avec une augmentation significative des IgG sériques dirigées contre les antigènes vaccinaux et une activité bactéricide mesurable. Pourtant, les niveaux d’anticorps dans les muqueuses pharyngées et anales restent très faibles, ce qui pourrait expliquer l’absence d’effet de la vaccination sur le portage local, clé des chaînes de transmission.
En résumé, ce poster confirme que la vaccination 4CMenB n’a pas d’impact sur le portage méningococcique chez les HSH sous PrEP, malgré une bonne réponse sérologique. La DoxyPEP, déjà au cœur des débats en santé sexuelle, montre un bénéfice discret sur le portage mais au prix d’un enjeu majeur de santé publique : l’augmentation des résistances bactériennes. Ces résultats plaident pour une stratégie combinant prévention vaccinale, usage raisonné des antibiotiques et surveillance de l’AMR, plutôt qu’une approche reposant uniquement sur la DoxyPEP.
Mpox : une immunité cellulaire nettement plus robuste après infection qu’après vaccination
Une étude menée en Espagne a comparé la réponse immunitaire après infection mpox et après vaccination chez des personnes vivant avec le VIH ou utilisant la PrEP. Trois groupes ont été suivis : des personnes ayant eu le mpox (31), des personnes vaccinées (13 avec une dose, 11 avec deux doses) et un groupe témoin sans exposition (37).
Les résultats sont clairs : l’infection par mpox déclenche une réponse immunitaire puissante et durable, alors que la vaccination actuelle produit une réponse beaucoup plus faible. Même plusieurs mois après l’infection (près de 8 mois en moyenne), les personnes guéries du mpox présentent encore de fortes réponses des cellules T, essentielles pour contrôler le virus à long terme. Ces cellules produisent notamment plus d’IL-2 et d’IFN-γ, deux marqueurs d’une immunité active et fonctionnelle. Les cellules CD8+, importantes pour éliminer les cellules infectées, sont également beaucoup plus réactives après infection.
À l’inverse, la vaccination, même à deux doses, induit une réponse immunitaire faible, proche de celle observée chez des personnes n’ayant jamais été exposées au virus. Autrement dit, le vaccin utilisé aujourd’hui contre le mpox, dérivé de l’ancien vaccin antivariolique, semble peu efficace pour stimuler l’immunité cellulaire, pourtant essentielle contre ce type de virus.
Ces résultats posent question : si le vaccin protège probablement contre les formes graves, il ne semble pas capable, dans sa forme actuelle, de générer une protection durable ou suffisamment robuste pour freiner la transmission, notamment dans les groupes les plus exposés. Face à une épidémie qui continue de circuler, cette étude rappelle l’urgence de repenser la stratégie vaccinale : rappel vaccinal ? troisième dose ? nouveaux vaccins plus adaptés ? En l’état, la vaccination reste utile, mais certainement insuffisante pour contrôler durablement le mpox.
Chemsex : données de prévalence de l’addiction issues de l’étude PACMen
Le poster de l’étude PACMen, conduit au centre de santé sexuelle Le 190 à Paris, alerte une nouvelle fois sur la réalité du chemsex en France. Cette étude transversale, menée entre janvier et septembre 2024, repose sur 237 hommes cis ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes déclarant au moins un épisode de chemsex dans l’année. Les résultats sont sans ambiguïté : près de 8 participants sur 10 (78 %) répondent aux critères de trouble addictif lié aux substances (SUD : substance use disorder) selon le DSM-5-TR, dont 42 % à un niveau sévère.
Plusieurs enseignements structurants se dégagent :
- Un public exposé aux vulnérabilités sanitaires
36 % des participants vivent avec le VIH et 57 % utilisent la PrEP. Les épisodes d’IST restent très élevés (près de 60 % rapportent un épisode de gonococcie dans l’année). La sérologie VHC positive est significativement plus fréquente chez les participants avec SUD (21 % vs 9,6 %). - Des pratiques à haut risque
Le slam (usage intraveineux en contexte sexuel) concerne 27 % des participants, et apparaît fortement associé à l’addiction (30,8 % chez ceux avec SUD vs 15,4 % sans SUD). Les cathinones dominent très largement les usages (95 %), suivies du GHB/GBL (62 %). - Un retentissement élevé sur la sexualité
Le SUD corrèle avec une détérioration déclarée de la vie sexuelle, marquée par : - une dépendance au sexe sous produit (peu ou pas de sexualité sans drogue),
- des violences sexuelles en contexte de chemsex,
- des échanges de sexe contre drogues ou argent,
- un désir exprimé par de nombreux participants de “revenir à leur sexualité d’avant”.
- Une dimension psychosociale souvent sous-estimée
Le SUD est également associé à des sentiments intenses de solitude, des difficultés financières, et des usages réguliers de benzodiazépines, signalant des trajectoires de vulnérabilités entremêlées.
L’équipe du 190 conclut à une urgence de prise en charge coordonnée entre santé sexuelle et addictologie. L’étude recommande d’évaluer systématiquement la qualité de la sexualité des HSH qui pratiquent le chemsex et d’adapter les parcours de soins pour intégrer l’accompagnement addictologique, en particulier pour les situations sévères. Loin des approches moralisantes, ces résultats soulignent la nécessité de réponses communautaires et cliniques adaptées, capables de reconnaître la complexité des usages sans invisibiliser la souffrance qu’ils masquent.
Une stratégie intégrée de dépistage HPV-IST efficace auprès des femmes travailleuses du sexe
Ce poster présente les résultats d’une intervention communautaire menée auprès de femmes travailleuses du sexe (FTS) en France (=90) et en Arménie (n=136), visant à intégrer le dépistage du papillomavirus humain à haut risque (HR-HPV) au dépistage des autres IST. Entre janvier 2023 et février 2025, 226 femmes ont été incluses dans ce projet d’action-recherche porté par l’association AREMEDIA et ses partenaires communautaires. Toutes étaient éloignées des structures de soins classiques, cumulaient des facteurs de vulnérabilité sanitaires et sociales, et présentaient un risque accru de cancer du col de l’utérus.
Les résultats sont sans appel : 49 % des participantes sont positives au HR-HPV, dont 38 % aux génotypes 16/18, à haut risque oncogène. C’est près de quatre fois plus que dans la population générale du même âge. Par ailleurs, 28 % ont au moins une autre IST : gonorrhée (11 %), chlamydia (10 %), syphilis (10 %), hépatite B (4 %) et hépatite C (3 %), tandis qu’aucune infection VIH n’a été détectée.
Fait important : aucun refus spécifique du dépistage HPV n’a été observé lorsque celui-ci était proposé dans une offre globale de santé sexuelle, avec information personnalisée et accompagnement communautaire. Le taux de tests HPV exploitables atteint 87 %, validant la faisabilité de cette approche en contexte de grande précarité. Aucune différence significative n’a été observée entre Paris et Erevan concernant la prévalence du HR-HPV.
Message clé : ce travail démontre que l’intégration du dépistage HPV aux dépistages IST, via l’auto-prélèvement et hors les murs, est opérationnelle, acceptée et indispensable auprès des FTS, fortement exposées mais invisibilisées par les politiques publiques de prévention.
Une stratégie communautaire qui réduit les inégalités d’accès à la PrEP
L’étude EASY-TESTS confirme l’efficacité du dépistage communautaire hors les murs, articulé à une offre immédiate de PrEP et TPE, pour atteindre des publics éloignés du système de santé traditionnel. Menée à Paris par Aides, Le 190 et Le SPOT, cette cohorte prospective ciblait spécifiquement des HSH précaires ou migrants, fortement exposés au VIH mais sous-représentés dans les parcours classiques de prévention.
Entre juillet 2023 et décembre 2024, 209 participants ont été inclus, majoritairement recrutés via des applications sexuelles (86 %). La cohorte était à 99 % composée de HSH cis, âge médian 31 ans, et 50 % nés hors de France métropolitaine. Les participants rapportaient une forte exposition au risque : 6 partenaires en médiane sur 3 mois, 16 % déclarant des usages de chems, et 73 % testés dans les 12 derniers mois, signe d’un engagement partiel dans la prévention mais insuffisamment accompagné.
Dès l’inclusion, 7 % vivaient déjà avec le VIH, dont cinq diagnostics récents, révélant la persistance de diagnostics tardifs malgré un recours au dépistage. Parmi les participants séronégatifs, 11 % étaient déjà sous PrEP et 4 % avaient récemment reçu un TPE. Restait donc un large vivier de personnes éligibles mais non protégées : 164 HSH.
Lors de la première consultation, 72 % ont accepté la PrEP immédiatement. Les principaux freins à l’initiation sont bien connus : faible perception du risque (57 %), besoin de temps (39 %) et usage systématique du préservatif déclaré (33 %), autant de facteurs qui renvoient à la nécessité d’un accompagnement communautaire continu, loin des injonctions biomédicales. Les facteurs associés à l’acceptation sont un nombre élevé de partenaires sexuels et un dépistage récent VIH/IST, signe que la PrEP attire prioritairement celles et ceux déjà engagés dans un début de parcours de santé sexuelle.
La rétention est élevée : 81 % des initiateurs se maintiennent sous PrEP au moins jusqu’à une visite de suivi, et 6 nouvelles initiations ont lieu à M3 ou M6, preuve qu’un accompagnement non coercitif favorise l’adhésion différée. 75 % des personnes éligibles au départ sont sous PrEP à M6, un résultat remarquable comparé aux chiffres nationaux, encore sous les 20 % d’accès chez les HSH éligibles.
Ces résultats confirment ce que nous défendons depuis longtemps : quand la prévention est pensée à partir des besoins réels, via des intervenant·es communautaires et dans des lieux non jugeants, l’accès à la PrEP augmente, y compris chez les publics les plus marginalisés. EASY-TESTS démontre qu’une prévention efficace passe par la dé-médicalisation partielle des parcours, la proximité communautaire et la réduction des barrières structurelles, bien davantage que par des campagnes institutionnelles hors-sol.
Femmes, travailleuses du sexe, personnes trans : la prévention VIH doit changer d’échelle
Les trois posters qui suivent confirment un constat déjà documenté par les acteur·ices communautaires : l’accès effectif à la prévention reste profondément inégal selon les populations, et seules des réponses adaptées (communautaires, holistiques et ancrées dans la réduction des risques) permettent d’atteindre celles et ceux que le système de santé laisse encore à distance.
Autonomisation des travailleur·euses du sexe : le dépistage par auto-tests postaux fonctionne
Médecins du Monde Montpellier a déployé une initiative de réduction des risques reposant sur l’envoi postal de kits intégrant préservatifs, lubrifiants et auto-tests VIH à destination de travailleur·euses du sexe exerçant majoritairement en ligne. Résultats : 1 259 personnes contactées, 129 retours et 40 kits envoyés, dont 28 contenant un ou plusieurs autotests VIH, avec 35 entretiens motivationnels et 23 orientations vers le soin. Au-delà du dépistage, l’approche crée un espace de confiance pour aborder violences, santé sexuelle et droits, démontrant qu’un accompagnement virtuel ciblé permet de lever des barrières d’accès au système de santé traditionnel.
Femmes cis : un fossé alarmant entre indication et usage réel de la PrEP
Les données de l’étude OOPS confirment l’extrême sous-utilisation de la PrEP par les femmes cis, malgré des besoins élevés. Sur 1 760 répondantes, seulement 4,2 % déclarent utiliser la PrEP, un taux cohérent avec les observations d’EPI-PHARE. Pire, 31 % présentent une indication à la PrEP sans y avoir accès, alors même que 87 % d’entre elles ne déclarent pas d’usage systématique du préservatif, 26 % rapportent au moins deux IST en un an et 11 % ont déjà sollicité un TPE. Ce décalage massif illustre un aveuglement persistant des politiques publiques et des acteur·ices de santé sur les besoins de prévention des femmes, en particulier les plus jeunes.
Femmes trans : la rétention dans la PrEP passe par des dispositifs holistiques
L’étude PrEP à porter, menée à l’hôpital Bichat – Claude Bernard et coordonnée par Acceptess-T, montre qu’un accompagnement pluridisciplinaire améliore l’accès et la rétention dans la PrEP pour les femmes trans exposées au VIH. La cohorte inclut 101 participantes, majoritairement en situation de précarité (score EPICES >30 dans 99 % des cas) et 91 % exerçant le travail du sexe. Après 48 semaines, 66 % restent dans le suivi. Les participantes déjà sous PrEP à l’inclusion sont plus souvent retenues dans le soin (72 % vs 35 %). Les données montrent que l’intérêt pour un accompagnement santé mentale, juridique, social ou communautaire est fortement associé à une meilleure rétention, confirmant l’importance de réponses intégrées face à la transphobie et aux violences institutionnelles.
À retenir
Ces trois communications illustrent une même ligne de fracture : les outils existent (PrEP, TPE, dépistage), mais restent inaccessibles pour celles et ceux qui cumulent précarité, violences et discriminations. Les réponses efficaces observent trois principes clés :
- aller vers les personnes et non l’inverse ;
- déployer des approches communautaires et féministes ;
- articuler prévention VIH avec santé mentale, droits sociaux et justice sociale.
En clair, l’innovation n’est plus biomédicale : elle est politique.
Inégalités vaccinales en Europe : un fossé persistant pour les personnes vivant avec le VIH
Ce poster présenté à l’EACS 2025 met en évidence une réalité préoccupante mais peu discutée : l’accès aux vaccinations recommandées reste profondément inégal entre les personnes vivant avec le VIH (PVVIH) selon leur pays de résidence en Europe. L’étude, portée par l’ESCMID Vaccine Study Group, repose sur une enquête transnationale menée auprès d’expert·e·s du VIH issus de 27 pays européens.
Des recommandations partagées, mais une application à géométrie variable
Si les recommandations vaccinales de l’EACS sont reconnues et utilisées dans 25 pays sur 27, leur traduction en politiques nationales reste largement insuffisante. Seule une minorité de pays d’Europe centrale et orientale (CEE) dispose de lignes directrices nationales spécifiques aux PVVIH, contre une majorité des pays d’Europe occidentale et méridionale (WSE). Autrement dit, l’EACS fait référence, mais sans toujours être suivie d’effets dans les systèmes de santé.
L’accès aux vaccins, une question politique autant que sanitaire
La situation se creuse davantage lorsqu’on observe la prise en charge financière des vaccins recommandés pour les PVVIH :
- Recommandations nationales spécifiques au VIH : 24 % en CEE vs 88 % en WSE
- Vaccins totalement remboursés : 6 % en CEE vs 56 % en WSE
- Vaccination sur site de soins VIH : 72 % en CEE vs 100 % en WSE
Cette disparité constitue un véritable obstacle structurel : dans de nombreux pays de l’Est européen, les PVVIH doivent payer de leur poche des vaccins pourtant recommandés, comme ceux contre l’hépatite B, le pneumocoque ou le HPV. Un non-sens de santé publique quand on connaît la vulnérabilité accrue des PVVIH face aux infections opportunistes.
Un enjeu de santé publique et d’équité
Les conclusions des auteur·rice·s sont claires : l’absence de remboursement et l’accès limité aux vaccins compromettent la prévention. Les politiques nationales doivent être alignées pour garantir un accès réel et équitable à la vaccination, si l’Europe veut sérieusement atteindre ses objectifs d’élimination des maladies évitables par la vaccination chez les PVVIH.
Ce travail rappelle, enfin, que l’harmonisation des recommandations ne suffit pas : sans volonté politique ni financement adapté, les inégalités sanitaires se creusent et la prévention reste un privilège pour quelques-uns.
Pour lire la suite
- EACS 2025 – Partie 2 (à venir)