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Vienne 2010 : les premiers résultats positifs d’une étude de microbicides CAPRISA

par | 03.08.2010

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Ce matin à Vienne ont été rendus publics les premiers résultats de l’étude CAPRISA, un essai de microbicides à base de ténofovir qui, pour la première fois montre un résultat d’efficacité qui se situe entre 39% (résultat global de l’étude) et 54% (pour une adhérence au traitement maximale). Il s’agit d’une étude menée en Afrique du Sud entre mai 2007 et mars 2010 à laquelle 889 femmes ont participé.

Conduite dans la province du KwaZuluNatal, une des plus touchées par l’épidémie de sida au monde, l’étude CAPRISA 004 a pour objectif de franchir un pas de plus dans l’étude d’une solution de prévention de la transmission du VIH totalement maîtrisable par les femmes, ce qui représente un élément essentiel pour contrôler l’épidémie dans le contexte sud-africain.

Il s’agit d’une démonstration de principe. L’étude a donc recruté 889 femmes réparties par tirage au sort en deux groupes, les unes recevant un gel contenant 1% de ténofovir, un antirétroviral utilisé depuis près de dix ans pour le traitement de l’infection à VIH, les autres recevant un gel placebo. La comparaison de résultats entre ces deux groupes permet ainsi de mesurer objectivement l’efficacité et la tolérance du produit testé.

L’accompagnement des participantes dans cette recherche a permis à toutes de bénéficier de conseils en prévention, de mise à disposition de préservatifs et d’un accompagnement médical de qualité. Les règles éthiques ont été minutieusement respectées, l’information des personnes autant que le contrôle de leurs connaissances et de leur compréhension de l’essai ont fait partie du suivi durant toute l’étude.

Pourquoi une telle recherche ?

En Afrique du sud comme dans les pays voisins où la population contaminée par le VIH atteint des niveaux de prévalence les plus élevés au monde (de l’ordre de 20%) la transmission sexuelle du VIH qui est largement prépondérante reste très difficile à combattre en raison des conditions socioculturelles particulières à ces régions. En effet, les courbes de répartition des séropositifs par âge et par sexe montrent que les femmes sont contaminées beaucoup plus jeunes que les hommes. Chez elles, on note une très forte augmentation des nouvelles contaminations entre 15 et 19 ans pour atteindre un maximum vers 24 ans tandis que pour les hommes, la montée se situe environ quinze à vingt ans plus tard. On observe une forte différence d’âge dans les couples dans lesquels les hommes plus âgés, séropositifs, transmettent le virus aux femmes beaucoup plus jeunes. Les changements de partenaires ou le multipartenariat contribue alors à disséminer l’épidémie avec une efficacité certaine.

Parmi les outils de prévention utilisables dans ces régions, le préservatif se situe en première place mais sa diffusion n’est pas aussi efficace que dans les pays occidentaux, que se soit pour des raisons économiques ou par manque de connaissances. Le traitement antirétroviral des séropositifs a fait d’énormes progrès mais reste limité aux personnes ayant un déficit immunitaire déjà assez avancé. Le dépistage reste aussi très insuffisamment accessible et la plus grande partie des séropositifs ignorent leur statut. La circoncision des hommes qui a démontré un efficacité d’environ 60% de réduction de la transmission du VIH est un mode de prévention exclusivement masculin.

Selon Quarraisha Abdool Karim, co-investigatrice de l’étude : « Le gel tenofovir est capable de combler le fossé de la prévention en donnant un pouvoir aux femmes qui sont incapables de négocier la fidélité ou l’usage de préservatifs par leurs partenaires masculins ».

L’étude CAPRISA 004

Il s’agit d’un essai de démonstration de principe (proof of concept), randomisé, en double aveugle, contre placebo, de tolérance et d’efficacité d’un gel vaginal contenant un antirétroviral : le tenofovir, pour la prévention de l’infection par le VIH chez les femmes entre 18 et 40 ans d’Afrique du Sud. L’étude s’est déroulée entre mai 2007 et mars 2010 dans deux centres, l’un en milieu urbain, l’autre rural, au KwaZuluNatal. La population dont sont issues les participantes est considérée comme à haut risque du fait de sa forte prévalence du VIH, ce qui a été démontré par une étude préparatoire de faisabilité.

L’étude a été précédée d’une consultation communautaire puis d’un processus d’information comprenant :

  • une réunion d’information pour les volontaires,
  • une évaluation de leurs connaissances et de leur capacité à donner un consentement autonome dans la langue de leur choix,
  • un test de compréhension des objectifs et de la conception de l’étude ainsi que des droits et devoirs des participants.

Le gel ou le placebo leur a été fourni sous forme d’applicateurs à usage unique avec comme recommandation de l’appliquer 12 heures avant un rapport sexuel puis une deuxième fois rapidement après, au moins dans les 12 heures qui suivaient. La consigne leur a aussi été donnée de ne pas dépasser deux doses par jour en cas de rapports répétés.

Outre les examens médicaux généraux et spécifiques à l’essai, l’accompagnement des participantes comprenait aussi :

  • un entretien pour s’assurer de leur bonne compréhension de l’essai,
  • des conseils de prévention,
  • une distribution de préservatifs,
  • un test de grossesse,
  • les soins éventuels d’infections sexuellement transmissibles.

Résultats

L’étude a inclu 889 femmes séronégatives pour le VIH, 611 dans la population rurale, 278 en milieu urbain, pour une participation moyenne de 18 mois. Si les femmes issues du milieu rural sont en moyenne plus jeunes, plus pauvres et ont moins de partenaires, rapportent moins d’actes sexuels et d’usage du préservatif, il n’y a pas eu de différence significative entre les participantes des deux groupes, tenofovir et placebo, ni de différence de comportement sexuel dans l’essai.

Avec 38 contaminations dans le groupe “tenofovir » et 60 dans le groupe “placebo », soit respectivement 5,6%-année contre 9,1%-année, l’étude montre de manière significative une réduction de l’incidence de 39% (intervalle de confiance à 95% : 6% à 60%, p=0,017) par le gel ténofovir.
Si l’on examine les contaminations dans la durée de l’étude, on remarque que l’efficacité atteint un maximum de 50% à 12 mois, puis régresse pour atteindre 39% à 30 mois.

Cela s’explique par l’observance des participantes à la technique. D’une part, elle s’érode avec le temps : mesuré par le nombre d’applicateurs utilisés ou non utilisés, il est probable que l’intérêt, l’assiduité ou la confiance des participantes dans un essai contre placebo régresse dans le temps – d’autre part, elle n’est pas égale chez tout le monde – séparés en “fortement observantes » (plus de 80% d’utilisation), “moyennement observantes » (50 à 80%) et “faiblement observantes » (moins de 50%), l’efficacité du gel sur la durée varie : 54%, 38% et 28% respectivement.

Pour évaluer la tolérance au produit, les événements indésirables sont recueillis tout au long de l’étude qu’elles qu’en soient les causes. L’analyse consiste ensuite à étudier s’il existe des différences entre les groupes utilisant le gel ténofovir ou le placebo. Au total, 4692 événements indésirables ont été signalés au cours de l’essai, soit en moyenne 3,55 par femme dans le groupe tenofovir et 3,44 dans le groupe placebo. Parmi ceux-ci, 39 ont été considérés comme sérieux, dont un décès. Cinq participantes ont arrêté l’usage du gel pour cause d’effets indésirables. Hormis des troubles gastro-intestinaux (diarhées) plus souvent signalés dans le groupe tenofovir, il n’y a pas de différence statistiquement significative entre les deux groupes. Néanmoins, ces résultats demandent à être précisés.

Sur toute la durée de l’étude, il a été compté 48 grossesses menées à terme, ayant abouti à la naissance de bébés sains. Six autres grossesses étaient en cours à la fin de l’étude.

Chez les femmes devenues séropositives, on n’a pas constaté de différence significative de charge virale lors de la séroconversion (4,65 log en moyenne). Bien qu’exposées au gel en moyenne 3 à 4 semaines après leur infection, il n’a pas été constaté de mutation de résistance sur les gènes de la transcriptase inverse des virus transmis.

Une étude menée en parallèle sur la transmission de l’herpès génital (HSV-2) a montré lui-aussi une efficacité du gel ténofovir d’en moyenne 51% à réduire la transmission de cette infection sexuellement transmissible. L’herpès génital, largement répndu dans la population sexuellement active de ces régions, est une cause majeure d’aggavation de la transmission du VIH.

Discussion des résultats

Le gel ténofovir a réduit l’infection en moyenne de 39%, quelles que soient les comportements et l’usage d’autres dispositifs de protection. L’observance du traitement module cependant fortement le résultat, montrant que la volonté et la capacité des participantes à utiliser le produit tel qu’il est recommandé joue un rôle de premier plan. Les essais à venir devont donc se focaliser sur cette question. De plus, il est apparu une réduction de l’utilisation effective du gel après 18 mois, ce qui demeure aussi un aspect à étudier.

La région où a été conduit l’essai, la province du KwaZuluNatal, se situe dans l’épicentre de l’épidémie de sida et on y relève une des plus fortes incidences au monde. Même avec l’utilisation du gel ténofovir, elle reste encore à un niveau très élevé de 5%-année, montrant la nécessité de poursuivre les travaux pour l’obtention d’un meilleur résultat de cette approche ainsi que le développement de stratégies plus efficaces qui puissent être combinées. Fort heureusement, il n’a pas été observé de compensation de l’effet protecteur supposé du gel sur les autres comportements de protection (utilisation de préservatifs), ce qui peut être attribué à la réduction du nombre d’actes sexuels et à l’augmentation de l’usage du préservatif qui ont aussi été observées dans le groupe placebo.

Cette démonstration du principe a cependant de sérieuses limites. Le petit nombre de participants et de sites rendent les résultats difficilement généralisables. Il n’est pas possible de déduire de conclusion de cette étude sur l’efficacité ou la tolérance du gel ténofovir sur le sexe anal. Il n’est pas non plus possible d’en obtenir des conclusions sur ce que le temps entre les applications et les actes sexuels peut changer à l’efficacité.

Source :
commentaire redaction full
CAPRISA 004 n’étudie pas une technique de prévention biomédicale qui nous concerne directement. D’abord parce que cette étude est clairement focalisée sur l’impérieux besoin de trouver une solution pour contrôler, sinon au moins contenir, la flambée de l’épidémie en Afrique. Les niveaux de prévalence et d’incidence dans le sud du continent n’ont rien à voir avec ceux des pays occidentaux et par conséquent, disposer d’une technique utilisable, même à efficacité limitée, présente un intérêt incomparable.
Elle ne concerne pas non plus les gays : de la bouche même de Selim Abdool Karim, l’investigateur principal de CAPRISA, il n’y a pas d’efficacité à attendre de ce gel sur le sexe anal. Le recueil comportemental à l’entrée dans l’essai décrit 0,5% de rapport anaux, ce qui lui a semblé suffisamment faible pour ne pas influer significativement le résultat final. Des études de microbicide spécifiquement étudié pour la phsyologie des relations anales sont en cours.
Alors pourquoi s’y intéresser dans REACTUP ? Parce que les études d’intervention biomédicale se multiplient et que pour les comprendre, il est intéressant de les connaitre et de les étudier. Demain, probablement, une telle étude sera conduite en France et proposera aux gays d’y participer. CAPRISA 004 est à ce titre un exemple intéressant tant du point de vue de la manière dont cette étude a organisé la participation des volontaires qui s’y sont prêtées que de la manière dont leur sécurité a été assurée et que leur accompagnement s’est déroulé. Sur bien des aspects il est possible d’en tirer des enseignements pour conduire au mieux ce type de recherche dans le respect des participants.