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Prevagay 2015 : une recherche au milieu des gays

par | 28.07.2017

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Résultats de l’étude Prévagay 2015 menée à Lille, Paris, Lyon, Nice et Montpellier. Où l’on découvre une prévalence du VIH de 14,3% en moyenne, qui s’élève avec l’âge mais qui se révèle très forte chez les moins de 30 ans. Mais l’étude menée au cœur du milieu gay montre-t-elle le cœur du problème ?

L’enquête Prevagay 2015 dont le but était de mesurer par un échantillonnage la prévalence de l’infection à VIH dans le milieu gay a été menée dans les établissements de convivialité gay (26 bars, 19 saunas, 15 sexclubs) dans 5 villes de France, Lille, Paris, Lyon, Nice et Montpellier à l’automne 2015. Elle proposait la libre participation aux personnes fréquentant ces établissements aux deux éléments de l’enquête, d’une part un prélèvement de sang capillaire sur buvard, d’autre part un questionnaire de données sociales et comportementales. Les prélèvements ont été analysés en laboratoire afin de connaître le statut sérologique réel des personnes participantes et leur prise d’antirétroviraux. L’analyse conjointe de ces résultats et des déclarations de l’enquête a permis une analyse fine de la prévalence du VIH mais aussi de la connaissance de leur statut et également une étude des facteurs comportementaux associés dans la population visée.

Sur les 5324 hommes approchés pour l’enquête, 2658, soit environ la moitié, ont accepté d’y participer ((80% à Lille, 48% à Lyon, 50% à Montpellier, 42% à Nice et 46% à Paris). 21% de ceux qui ont refusé ont néanmoins accepté le court questionnaire de refus dont il ressort qu’ils étaient plus âgés et se déclaraient moins souvent séropositifs au VIH.

L’âge médian des participants a été de 41 ans, variant de 33 ans à Lyon à 44 ans à Paris. Ils sont pour 83% nés en France, vivent pour moitié dans le département de l’enquête, sont pour 7% d’entre eux étrangers et ont en majorité suivi des études supérieures. Ils se définissent à 83% comme homosexuels et fréquentent à 56% les sites de rencontre sur internet et à 58% les applications de rencontre géolocalisées gays.

Un peu moins de la moitié (45%) avait eu plus de 10 partenaires dans l’année. Près d’un tiers des hommes (32%) n’avaient pas utilisé de préservatif systématiquement lors des pénétrations anales avec des partenaires de statut sérologique VIH différent ou inconnu. La consommation de produits psychoactifs avant ou pendant les rapports sexuels était rapportée par 21% des participants. Par rapport aux séronégatifs, les séropositifs rapportaient davantage de partenaires au cours des 12 derniers mois, déclaraient plus fréquemment avoir eu au moins une pénétration anale non protégée avec un partenaire de statut sérologique VIH différent ou inconnu dans l’année, une consommation plus importante de produits psychoactifs lors des rapports sexuels et davantage d’infections sexuellement transmissibles (IST) dans l’année. Parmi les séronégatifs, un peu plus de la moitié (54%) connaissaient la prophylaxie pré-exposition au VIH (PrEP), dont 4% avaient fait usage dans l’année (au moment de l’enquête la PrEP n’est accessible qu’en participant à l’essai ipergay qui est déployé dans 4 villes de l’enquète). Le recours au test de dépistage pour le VIH dans les 12 derniers mois parmi les HSH séronégatifs s’élevait à 63%.

Résultats

La prévalence globale du VIH dans l’ensemble du milieu enquêté s’élève à 14,3%. Le tableau ci-dessous donne la valeur de la prévalence dans les différentes villes ainsi que l’intervalle de confiance de ces valeurs à 95%.

% IC95%
Lille 7,6 [5,1 – 11,1]
Lyon 11,4 [6,9 – 18,3]
Montpellier 16,9 [11,2 – 24,7]
Nice 17,1 [11,8 – 24,1]
Paris 16,0 [12,5 – 20,4]

 

La prévalence augmente avec l’âge, passant de 4.4% [2,1 – 9,1] pour les hommes de moins de 25 ans à 18,6% [14,3 – 23,9] pour ceux de 45 ans et plus. La proportion de participants qui se déclarent séropositifs parmi ceux qui ont un test positif est de 91,9% [86,4 – 95,2]. La part de personnes sous traitement antirétroviral parmi les séropositifs est de 94,9% [91,9 – 96,8]. Il n’y a pas de différence significative entre les villes pour ces données.

Une analyse statistique des comportements associés au fait d’être séropositif au VIH a été conduite. Seuls les éléments significatifs en ont été retenus. Ainsi, en analyse multivariée, le fait d’être séropositif pour le VIH était associé au fait d’avoir 35 ans et plus, de ne pas avoir suivi d’études supérieures, d’être né en France, de se définir homosexuel, d’avoir dans les 12 derniers mois, fréquenté des backrooms, eu au moins une pénétration anale non protégée avec des partenaires de statut VIH différent ou inconnu, consommé des produits psychoactifs au cours des rapports sexuels et rapporté des antécédents d’IST. La prévalence VIH était significativement plus élevée parmi les participants de Montpellier et Paris que parmi ceux de Lille, toutes les autres différences entre villes n’étant pas significatives.

Analyse

Globalement, la prévalence pour le VIH est élevée dans le milieu HSH enquêté. Elle est plus élevée à Paris, Nice ou Montpellier et plus faible à Lille, ce qui est conforme aux données de surveillance épidémiologique ainsi qu’aux données de l’enquête presse gay et lesbienne de 2011 qui affichait une prévalence déclarée de 20% pour ces régions. On peut aussi évoquer le plus grand nombre d’établissement de consommation sexuelle dans ces régions dans l’enquête, lieux plus fréquemment fréquentés par des gays plus âgés et plus souvent séropositifs. Mais ces prévalences sont comparables au niveau international avec les résultats de Brighton (17,6%) ou Lisbonne (17,1%). En revanche, la proportion d séropositifs de moins de 30 ans (6%) est plus élevée que dans d’autres villes européennes.

Dans la population étudiée, les objectifs de l’ONUSIDA sont atteints puisque plus de 90% des séropositifs connaissent leur statut et que 95% des séropositifs sont sous traitement avec une charge virale indétectable. Cela étant, cette population est spécifique au moins à deux titres. D’une part, selon la dernière enquête presse gay 2011, les gays actifs sexuellement déclarent avoir fréquenté au moins une fois les bars, boites, saunas et sexclubs à 78%. D’autre part, les HSH fréquentant les établissements de convivialité et acceptant de participer à ce type d’enquêtes sont ceux qui portent un intérêt aux questions de prévention et, de ce fait, sont probablement plus susceptibles que ceux n’y participant pas de connaitre leur statut sérologique. Ici, 50% des HSH abordés ont refusé de participer. Parmi ceux ayant accepté de renseigner le questionnaire de refus, ils étaient moins nombreux à se déclarer séropositifs. Ainsi, la population de cette enquête doit être prise pour ce qu’elle est et n’est pas représentative de la population HSH dans son ensemble.

Depuis le début de l’épidémie du VIH, les lieux de convivialité gay ont été parties prenantes du dispositif de lutte contre le VIH. Les HSH fréquentant ces lieux ont été la cible d’actions de prévention associatives en tant que population particulièrement exposée aux risques de contamination par le VIH et autres IST. Cependant, aujourd’hui, les modes de socialisation des HSH sont en mutation, avec une certaine mise à distance des lieux traditionnels de rencontres alors que les applications de rencontres géolocalisées sont particulièrement appréciées, plus particulièrement par les jeunes HSH (c’est le cas de 82% des HSH de moins de 25 ans de notre étude contre 54% pour leurs aînés). Ainsi, si les actions de prévention dans les établissements de convivialité doivent être maintenues, il est important de mettre en œuvre d’autres actions préventives qui prennent en compte ces évolutions et touchent en priorité les jeunes HSH.

Source :
commentaire redaction full
Bien que cette enquête donne des indications très intéressantes sur l’état de la communauté, elle cible surtout le petit milieu gay convivial et averti, ce que les enquêteurs ont bien compris. Mais même l’enquête presse gay 2011, qui constitue déjà un filtre sélectif de personnes plus affirmées dans la communauté, voire plus militantes, dit que tous les gays ne fréquentent pas les lieux de rencontre. On est donc au centre du milieu… Et que le cœur de la cible se révèle finalement plutôt bon en termes de résultats de connaissance de son statut ou de personnes sous traitement n’est pas surprenant. La surveillance épidémiologique avait déjà montré que les HSH faisaient nettement mieux que les autres composantes de la population en terme de résultats. Et pourtant le rythme des nouvelles contaminations ne baisse pas. Or, dans ce milieu ci, on a déjà tous les éléments qui concourent à ce résultat. Il n’y a quand même que deux tiers (63,4%) des enquêtés qui s’estiment séronégatifs qui déclarent avoir fait un dépistage dans les 12 derniers mois, ce qui corrobore les données épidémiologiques qui donnent un délai médian de dépistage à deux ans et demie de la contamination. Or on sait très bien que le risque de transmission est excessivement élevé pendant les premières semaines et peut rester important ensuite tant que la charge virale n’est pas contrôlée. Il n’y a donc rien d’excessif à estimer dans ce contexte qu’en moyenne, une personne nouvellement contaminée qui a une dizaine de partenaires par an (donc statistiquement au moins 8 séronégatifs) puisse en contaminer une autre en un an et demie avant d’être dépistée et traitée. Et c’est ainsi que l’épidémie progresse…
Alors que dire des jeunes dont on voit ici que chez eux les données sont plus défavorables et que penser de la population hors cible de l’étude, moins vigilante, moins informée, moins dépistée…
Y a-t-il des solutions ? D’un point de vue de santé publique, il faut d’une part élever le niveau de protection des séronégatifs y compris avec l’utilisation de la PrEP, d’autre part réduire le délai entre contamination et dépistage. Mais c’est d’autant plus l’affaire de chacun individuellement que les pouvoirs publics peinent à proposer des infrastructures suffisantes pour réaliser les objectifs visés (Promotion du préservatif, offre de dépistage gratuit, prise en charge de la PrEP).