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Le point sur le papillomavirus chez les gays

par | 05.06.2013

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Alors qu’il existe dans plusieurs pays un programme de vaccination contre le virus du papillome humain pour les jeunes femmes, une récente étude australienne préconise de vacciner également les jeunes gays. Pourquoi ? Quels sont les facteurs de risque du virus ? Quels liens entre les condylomes ano-génitaux et ce virus ? N’y a-t-il que les pratiques hard pour causer cette infection ?

Il existe plus d’une centaine de types du virus du papillome humain (HPV), que l’on appelle également papillomavirus humain. Le HPV est un virus responsable notamment de nombreuses infections sexuellement transmissibles. Certains types de virus ont un potentiel cancérigène élevé, ce qui ne semble pas être le cas du HPV6 et du HPV11. L’infection au HPV peut être intermittente et transitoire. Ainsi, l’infection au HPV peut longtemps ne pas se manifester par des signes cliniques.
On le sait, le condylome ano-génital est l’une des manifestations de l’infection au Papillomavirus humain. Cette infection sexuellement transmissible très contagieuse est donc l’un des symptômes les plus connus du HPV.
Et l’on sait également que la plupart des condylomes ano-génitaux sont liés à une infection au HPV de type 6 ou 11. Mais quel lien peut-on rigoureusement établir entre ces infections sexuellement transmissibles et le virus ?

Depuis 2007, le programme national de vaccination australien propose un vaccin contre le HPV de type 6 et 11 aux jeunes femmes. On a alors constaté une baisse importante de ces condylomes dans cette population. On a également mis en évidence une immunité collective chez les jeunes hommes hétérosexuels. Mais qu’en est-il chez les gays ?
Il existe peu d’éléments mais les gays sont fortement touchés par le virus et on note une surreprésentation des condylomes ano-génitaux dans cette population.

Depuis le début de l’année 2013, l’Australie a décidé d’étendre son programme de vaccination aux jeunes hommes. Si l’on connait la séroprévalence au HPV et les facteurs de risque chez les gays, on pourra donc désormais mesurer les effets du programme de vaccination pour cette population.

C’est ce que propose l’étude « séroprévalence au HPV de type 6 et 11 chez les gays ». Cette étude australienne étudie les facteurs de prévalence et l’incidence du HPV chez les gays ainsi que le lien entre condylome ano-génital et le virus.

Méthodologie

L’étude « séroprévalence au HPV de type 6 et 11 chez les gays » a consisté à étudier la prévalence et l’incidence du HPV 6 et du HPV 11 dans deux cohortes.
La première cohorte, appelée HIM Study, est composée de 1427 gays séronégatifs au VIH. Les participants ont plus de 18 ans, vivent ou viennent régulièrement à Sydney, y fréquentent la communauté gay et ont au moins eu un rapport homosexuel dans les cinq années écoulées.
La seconde cohorte, la PH study, diffère de la première principalement parce qu’elle est composée de 245 gays séropositifs au VIH.
Les participants de la cohorte « séronégatif au VIH » ont été recrutés entre juin 2001 et décembre 2004 et ont effectué des entretiens jusqu’en 2007. Les participants de la cohorte « séropositif au VIH » sont entrés dans le programme PH Study de 1998 à 2006 et ont également répondu régulièrement à des entretiens.

Avec ces entretiens en face à face, il s’agissait d’obtenir des éléments sur les pratiques sexuelles et les relations des participants. En plus de ces entretiens annuels, les gays séropositifs au VIH de la seconde cohorte étaient interrogés par téléphone tous les six mois afin de récolter des données récentes sur leur comportement sexuel et leur consommation de drogues.

Tous les ans, les participants de la cohorte de séronégatifs ont été testé au VIH. Dans la deuxième cohorte composée de gays séropositifs, des tests sérologiques ont été réalisés annuellement entre 2005 et 2007.
Cette enquête ne s’intéresse qu’au HPV de type 6 et 11. Les séroprévalences au HPV 6 et au HPV 11 ont été mesurées séparément. L’incidence aux deux types du virus a été calculée chez les participants qui étaient séronégatifs au début de l’enquête au HPV6 et au HPV11.
Compte tenu de la similarité entre les réactions des anticorps au HPV 6 et au HPV11, une variable « HPV6/11 » a été créé. On reconnaît comme séropositif au HPV6/11 un participant séropositif au HPV6 et/ou auHPV11.

Afin d’analyser les prédicteurs [1] de prévalence au HPV6/11, les données sociodémographiques, biologiques et comportementales ont été examinées : âge, métier, circoncision, niveau d’intégration dans la communauté gay, le nombre de partenaires sexuels (hommes et femmes séparément), le temps écoulé depuis le premier rapport sexuel, le temps écoulé depuis le premier rapport anal, tabac, cannabis, infection à la syphilis, l’hépatite A, B, C, l’herpès simplex de type 1 ou 2.

Il faut noter que peu d’éléments sur les comportements sexuels à risque et sur les condylomes ano-génitaux ont été récoltés chez les participants de la cohorte « séropositif au VIH ». Ainsi les facteurs de risque pour le HPV6/11 et la relation avec les condylomes n’ont été examinés que chez les participants de la première cohorte, les séronégatifs au VIH.

On a procédé de façon similaire pour les prédicteurs d’incidence du HPV6/11, mais des caractéristiques supplémentaires on été étudiées : nombre de partenaires sexuels gays dans les six derniers mois, rapports sexuels non protégés par type de partenaire, occasionnel ou régulier. Pour les rapports sexuels anaux non protégés, on a étudié la position active ou passive du participant, le statut VIH des partenaires sexuels (positif, négatif, inconnu), fellation active, fellation passive, anulingus, fist. En ce qui concerne le passé médical des participants, on s’est intéressé aux gonorrhées (ce qu’on appelle la chaude-pisse) et aux chlamydias (à l’urètre, à l’anus et au pharynx), à la syphilis, aux hépatites A, B et C.

On a analysé séparément l’incidence et la prévalence des condylomes anaux d’une part, et des condylomes génitaux d’autre part.
Ainsi, 5959 prélèvements ont été effectués dans la première cohorte de 1427 gays séronégatifs au VIH. L’âge moyen des participants est de 35 ans, le plus jeune avait 18 ans et le plus âgé 75 ans. Ils ont été suivis pendant trois ans et demi en moyenne. Dans la seconde cohorte composée de 245 gays séropositifs au VIH, l’âge moyen des participants est 45 ans, dix années de plus que dans la première cohorte.

Les résultats en détail

Prévalence et incidence du HPV6/11 chez les gays séronégatifs au VIH et chez les gays séropositifs au VIH : éléments de comparaison

Au commencement de l’étude, près de la moitié des participants de la cohorte « séronégatif au VIH » sont séropositifs au HPV6 (46,9%) et plus d’un tiers au HPV11 (39,2%).
Dans la deuxième cohorte « séropositif au VIH », on relève une prévalence similaire au HPV6 (53,2%), en revanche, la prévalence au HPV11 est plus élevée (48,3%).

On a relevé une séroconversion au HPV plus fréquente dans la première cohorte. En effet, l’incidence du HPV6 est deux fois supérieure (4,3%) chez les participants séronégatifs au VIH (2,4% chez les participants séropositifs au VIH). L’écart est encore plus important pour le HPV11. On note une incidence au HPV11 de 4,3/100 personnes par an dans la première cohorte contre 1,5/100 personnes par an dans la deuxième, ce qui représente un taux d’incidence au HPV11 trois fois supérieur chez les participants séronégatifs au VIH.

Au lancement de l’enquête, plus de la moitié des participants de la première cohorte et deux tiers des participants de la deuxième cohorte étaient séropositifs au HPV6/11, c’est-à-dire au HPV6 et/ou au HPV1. L’incidence à la variable HPV6/11 est de 5,9/100 personne par chez les gays séronégatifs au VIH et de 4,0% dans la cohorte composée de gays séropositifs au VIH.
Cependant, ces données de comparaison sur l’incidence et la prévalence au HPV6 et du HPV11 entre gays séropositifs au VIH et les gays séronégatifs est à prendre avec précaution puisque, on l’a vu plus haut, il y a un écart très important entre le nombre de participants à la première cohorte (1427) et celui de la deuxième cohorte (245). De plus, ce dernier est faible et la portée des résultats de ce volet de l’étude est limitée. Enfin, l’âge des participants diffère de manière significative d’une cohorte à l’autre (les participants séropositifs étant, dans leur ensemble, plus âgés). C’est pourquoi dans la suite de l’enquête, seuls les résultats collectés avec la première cohorte composée de gays séronégatifs au VIH sont présentés.

Quels sont les prédicteurs de prévalence au HPV6/11 ?

Deux types d’analyse ont été menés : une analyse univariée et une analyse multivariée. Dans l’analyse univariée, chaque critère est étudié sans tenir compte des autres. Dans l’analyse multivariée, les chercheurs se sont intéressés à la distribution conjointe de plusieurs variables.
Les critères repérés comme des prédicteurs de prévalence au HPV6/11 dans l’analyse univariée sont l’âge (le taux de prévalence augmente avec l’âge), le degré d’insertion dans la communauté gay, le nombre de partenaires sexuels hommes et femmes au cours de la vie, la durée écoulée depuis le premier rapport sexuel, la consommation de marijuana et la contamination à des infections sexuellement transmissibles. En revanche, le tabagisme et la circoncision n’ont pas été retenus comme prédicteurs de prévalence au HPV6/11. L’analyse multivariée a mis en évidence quant à elle trois principaux facteurs de risque : le nombre de partenaires sexuels hommes au cours de la vie, la durée écoulée depuis le premier rapport sexuel anal et la contamination à l’hépatite B.

Les résultats en un coup d’oeil

Résultats issus de l’étude australienne présentée ici :

Séroprévalence au HPV6/11 Incidence du HPV 6/11
Participants séronégatifs au VIH 55,30% 5,90%
Participants séropositifs au VIH 61,60% 4,00%

Résultats issus de l’étude « Population seroprévalence of Human Papillomavirus types 6,11, 16 and 18 in men, woomen and children in Australia » [2]

Séroprévalence au virus chez l’ensemble des hommes
HPV6 9,20%
HPV11 5,20%

Ce qu’il faut retenir de l’étude

Cette enquête démontre donc clairement que la séropositivité au HPV6/11 est très répandue dans les deux cohortes étudiés puisque près de la moitié des participants étaient séropositifs au HPV.

Ce que l’on remarque également c’est la forte propagation du virus chez les jeunes. Un gay séronégatif au VIH de moins de 25 ans sur 10 est devenu séropositif au HPV6/11 au cours de l’étude. On a donc une prévalence au HPV6/11 de près de 50% et une incidence de 10% chez les jeunes.

L’étude a aussi mis en exergue le lien étroit entre incidence du HPV6/11 et condylome anal. En revanche, le lien avec les condylomes génitaux n’a pas pu être établi. Cependant, seulement ¾ des participants ayant des antécédents de condylomes anaux au début de l’enquête étaient séropositifs au HPV6/11. Il semblerait ainsi que les tests sérologiques sous-estiment l’incidence cumulative de l’infection par le HPV. Le décalage observé entre histoire clinique et statut sérologique peut s’expliquer par un temps long d’incubation ou encore par le fait que certains individus peuvent ne jamais développer de réponse immunitaire au HPV6/11. Mais on peut aussi envisager que les critères choisis pour détecter le HPV6/11 sont trop restrictifs ce qui empêcherait de repérer une séropositivité ou une séroconversion au HPV6/11.

Dans la cohorte la plus importante en nombre, celle composée de gays séronégatifs au VIH, la prévalence au HPV6/11 et l’incidence du virus sont fortement liées aux marqueurs de l’activité sexuelle y compris les pratiques « soft » (anulingus, doigté). Ces conclusions sont également comparables aux autres études menées sur le sujet.

Le taux d’incidence du HPV6/11 chez les jeunes gays de moins de 25 ans dans cette enquête amène à penser qu’une vaccination chez les jeunes hommes pourrait être efficace.

Ce qui ressort également de l’enquête lorsqu’on s’intéresse à la variable âge, c’est la prévalence élevée du virus chez les gays plus âgé, plusieurs raisons sont avancées pour l’expliquer : l’anus est le lieu d’infection principal, les gays étant sexuellement actifs même âgé l’exposition et les ré-infections sont plus fréquentes, le nombre élevé de partenaires sexuels au cours de la vie, et le temps écoulé depuis le premier rapport sexuel.

Avec plus de 10% des gays de moins de 25 ans infectés par le HPV6/11 chaque année, une réponse prophylactique proposée dans le compte-rendu de l’étude est la vaccination des jeunes gays.

Pour aller plus loin

Le HPV est un virus responsable de plusieurs infections sexuellement transmissibles. Il existe plus d’une centaine de types du papillomavirus, certains ont un potentiel cancérigène élevé. C’est le cas pour le HPV16 et le HPV18, ils seraient en particulier responsables de certains cancer du col de l’utérus et de cancer vulvo-vaginaux. Mais le HPV6 et le HPV11 ne sont pas classés parmi les virus à hauts risques de cancer.

Contre le HPV16 et le HPV 18 il existe un vaccin : le Gardasil. En France il est recommandé par le Haut Conseil de la Santé Publiques aux adolescentes de 14 ans avec un rattrapage jusqu’à l’âge de 23 ans chez les femmes qui n’ont pas eu de rapports sexuels.
Ce vaccin produit également des anticorps dirigés contre le HPV6 et le HPV11. Mais aucune recommandation n’a été faite en direction des jeunes gays, comme le préconise l’étude australienne présentée ici.

Notes de l'article :

[1] Facteurs explicatifs causaux issus d’une régression statistique

[2] Newall A, Brotherton J, Quinn H, McIntyre P, Bachouse J, Gilbert L, et al. « Population seroprévalence of Human Papillomavirus types 6,11, 16 and 18 in men, woomen and children in Australia ». Clinical Infectious Disease. 2008, 46 : 1647-55

Source :
Mary Poynten I, Waterboer T, Jin F, Templeton DJ, Prestage G, Donovan B, Pawlita M, Fairley CK, Garland SM, Grulich AE, Human papillomavirus types 6 and 11 seropositivity : Risk factors and association with ano-genital warts among homosexual men, Journal of Infection (2013).
commentaire redaction full
Cette étude constitue un élément de preuve supplémentaire de la prévalence élevée du HPV chez les gays. Le HPV faisant partie de ces infections souvent maintenues dans l’ombre de la prévention, toute entière concentrée sur le VIH. Bien-sûr, l’ampleur du problème n’est pas la même et les conséquences en matière de santé non plus, mais il ne serait pas absurde d’intégrer, aujourd’hui, la prévention du HPV dans une démarche de santé sexuelle globale.
Avec une forte incidence, et des conséquences de santé largement corrélées, le HPV de type 6 ou 11 (sous-types présents tant en Europe qu’en Australie, comme dans cette étude) constitue l’un des enjeux de la prévention chez les gays, avec l’hépatite A, l’hépatite B et, bien entendu, l’hépatite C. Alors que des vaccins existent contre l’hépatite A, l’hépatite B et le HPV, les recommandations ne sont toujours pas étendues au gays. Cette étude montre pourtant la pertinence d’un élargissement de ces recommandations, aux gays et plus généralement aux jeunes.