En mai 2025, « Vers Paris sans sida » (VPSS) publie une enquête précieuse sur le dépistage communautaire hors les murs à Paris et en Seine-Saint-Denis. Objectif : rendre visibles les actions associatives, comprendre les transformations du contexte local et identifier les freins structurels qui empêchent un dépistage efficace et équitable pour tou·tes.
Une méthodologie au plus près du terrain
Entre avril et juillet 2024, VPSS a mené une série d’entretiens avec les responsables des 18 associations qui réalisent du dépistage hors les murs (DHM) sur ces deux territoires. Ces structures, aux profils variés – communautaires, humanitaires, médicales ou militantes – ont partagé leurs pratiques, leurs évaluations et les spécificités de leurs actions.
L’enquête exclut volontairement les CeGIDD ou les établissements hospitaliers, afin de se concentrer sur les pratiques d’aller-vers menées par les associations. Elle croise les données de terrain avec l’étude COÏNCIDE, qui cartographie l’épidémie de VIH commune par commune, permettant d’identifier les zones les plus exposées et les types d’interventions qui y sont déployés.
Des objectifs clairs : visibilité, efficacité, reconnaissance
Le DHM s’impose aujourd’hui comme l’un des outils les plus coût-efficaces de la prévention combinée. Il permet de toucher des publics éloignés des soins classiques, dans des contextes souvent difficiles ou invisibilisés : rues, parcs, hôtels sociaux, foyers, bars, saunas, campus universitaires, événements militants ou festifs.
Mais ces actions sont confrontées à des obstacles : instabilité des lieux de rencontre, transformations urbaines, contrôles policiers, insuffisance chronique de financements, rigidité des cadres administratifs. En mettant en lumière ces réalités, la cartographie vise à renforcer la légitimité des associations et à plaider pour une politique de santé publique plus inclusive.
Le dispositif de dépistage communautaire, notamment par TROD (Test Rapide d’Orientation Diagnostique), a connu une montée en charge importante : de 31 700 tests réalisés en 2012, il est passé à 61 600 en 2014. En 2019, avant l’émergence du COVID, ce chiffre atteignait 69 556 tests, avant de redescendre à 51 300 en 2023. Ces fluctuations soulignent à la fois l’efficacité du modèle et sa vulnérabilité face au manque de financement stable.
Trois populations prioritaires : HSH, migrant·es, travailleur·euses du sexe
L’enquête distingue trois grandes cibles du dépistage associatif : les hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (HSH), les personnes migrantes, et les travailleur·euses du sexe. Ces populations concentrent une part significative des nouvelles contaminations, mais restent insuffisamment prises en charge par le système de santé classique.
HSH : des interventions contrastées entre Paris et la banlieue
À Paris, le DHM vers les HSH est dense et varié : présence dans les lieux de sociabilité gay (bars, clubs, saunas), interventions dans l’espace public (Tuileries, Bois de Vincennes), actions dans des centres associatifs comme Le Spot, ENIPSE ou La Bulle. Les associations ciblent des sous-groupes divers : HSH « non identitaires », maghrébins, jeunes, seniors, « hors appli », etc.
En revanche, en Seine-Saint-Denis, l’offre reste limitée : absence de lieux communautaires identifiés, rareté des événements festifs dédiés. Pourtant, la scène queer s’y développe, comme en témoigne la Pride des banlieues. L’enjeu est donc d’adapter les dispositifs aux réalités sociales et territoriales en mutation.
Personnes migrantes : diversité des parcours, variété des approches
Le dépistage communautaire s’adapte à la complexité des trajectoires migratoires. Les associations interviennent aussi bien dans des foyers de travailleurs, des hôtels sociaux, des centres d’hébergement d’urgence (CHU, CHRS), que dans la rue, les parcs, les transports ou les lieux d’aide alimentaire.
À Paris comme en Seine-Saint-Denis, les migrant·es représentent plus de la moitié des nouveaux diagnostics VIH. Pourtant, la moitié des infections acquises en France par ces personnes ne sont dépistées qu’au bout de deux à trois ans. Le DHM devient alors une stratégie indispensable pour combler les trous dans le filet sanitaire.
Travailleur·euses du sexe : entre vulnérabilité accrue et violences institutionnelles
Les personnes exerçant le travail du sexe, en particulier les femmes migrantes, sont souvent confrontées à une triple précarité : sociale, juridique et sanitaire. Certaines associations, comme Le Bus des femmes, Acceptess-T ou le PASTT, déploient des maraudes dans les quartiers ou les hôtels, parfois en coordination avec des structures sociales ou d’accueil.
Mais la répression, les violences policières et les politiques migratoires restrictives freinent gravement l’accès à la prévention et au soin. Là encore, le DHM permet de créer un espace de confiance, où la parole et le consentement sont centraux.
Ce qu’il reste à faire
Si l’enquête montre la richesse et la diversité des pratiques associatives, elle pointe aussi les insuffisances de la politique publique. Plusieurs associations interrogées dénoncent :
- le manque de financement pérenne, malgré la reconnaissance de l’efficacité du dépistage hors les murs ;
- l’absence de coordination territoriale, qui laisse certaines zones ou populations sans couverture ;
- les entraves administratives, notamment pour les personnes sans titre de séjour ;
- la faible reconnaissance du rôle des associations, alors qu’elles pallient des manques structurels.
Pour atteindre l’objectif d’une région sans sida, il ne suffit pas de promouvoir le dépistage : il faut soutenir concrètement les acteurs qui le rendent possible et prendre en compte leurs revendications. Cela passe par un renforcement des financements, une meilleure articulation entre associations et institutions, la formation des intervenant·es communautaires, et surtout une volonté politique d’agir pour un meilleur accès à la santé.
Vers Paris sans sida propose avec cette cartographie bien plus qu’un simple outil de localisation : un manifeste pour une approche territorialisée, communautaire et équitable du dépistage. Un appel à repenser les politiques de santé là où elles sont les plus nécessaires : sur le terrain, aux côtés de celles et ceux que le système ignore trop souvent, voire discrimine.
Source
Vers Paris sans sida, Le dépistage communautaire hors les murs à Paris et en Seine-Saint-Denis. Acteurs – Populations – Lieux – Pratiques, Printemps 2025, 37 p. (consultable ici)