Dans le prolongement des éléments publiés sur React’Up en 2016, cette analyse en 3 parties propose de faire le point sur les données disponibles aujourd’hui pour comprendre les enjeux de l’épidémie parmi les personnes trans. Au cours des dernières années, la question trans a fait l’objet d’une attention médiatique, politique et scientifique accrue. De nouveaux résultats sont à présent disponibles et permettent de mieux comprendre les ressorts, en particulier sociaux, de l’épidémie chez les personnes trans. Ils rendent plus saillant encore le besoin d’une lutte résolue contre les violences et discriminations transphobes, qu’elles s’exercent dans la vie quotidienne, sur le marché du travail, au cours du parcours de soin, dans la recherche ou de la part de l’administration. Ils suscitent également l’inquiétude dans un contexte où la transphobie devient un enjeu idéologique dans une partie du champ politique, comme en témoignent les attaques récentes contre les droits des personnes trans aux États-Unis et au Royaume-Uni, mais aussi les manœuvres autour des parcours des mineur•e•s trans en France.
Produire davantage de données est nécessaire pour mieux comprendre l’épidémie et mieux accompagner les personnes trans
Ce qui précède illustre bien une multiplication des travaux portant sur les enjeux spécifiques de l’épidémie pour les personnes trans depuis quelques années. Au contraire de ce qui était le cas auparavant, celles-ci ne sont plus systématiquement amalgamées avec les hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes, que ce soit dans les travaux épidémiologiques ou dans ceux qui s’intéressent aux dispositifs de prévention ou aux enjeux thérapeutiques. De ce fait, les données sont aujourd’hui de plus en plus précises et pertinentes, ce qui laisse espérer à terme des évolutions positives dans la prise en charge des personnes trans dans leur parcours de prévention et de soins.
Il n’est pour l’instant pas question de crier victoire sur le front des données. Si celles-ci sont aujourd’hui davantage disponibles que par le passé, le tableau reste incomplet. Dans le cas français par exemple, si les données sur les découvertes de séropositivité permettent aujourd’hui de se concentrer spécifiquement sur les personnes trans, on ne dispose ni d’estimation de prévalence, ni d’estimation d’incidence qui sont pourtant essentielles pour un suivi correct de la dynamique de l’épidémie.
Plus largement, tous les éléments disponibles convergent pour montrer que les principaux déterminants de la vulnérabilité des personnes trans face au VIH tiennent à leur exposition aux violences et discriminations. De ce fait, le contexte social dans lequel elles évoluent est particulièrement important pour mieux comprendre l’épidémie. Transposer à un pays les données disponibles ailleurs est donc malaisé lorsque le niveau de stigmatisation des personnes trans, ou la prise en charge financière des parcours de transition diffère. Se contenter d’analyses produites ailleurs n’est pas une option satisfaisante.
L’effort de production de données quantitatives spécifiques doit être poursuivi et amplifié. Il n’est pas possible en la matière de se restreindre à des données qualitatives, non plus qu’à des résultats produits dans des environnements et des systèmes de santé très différents du système de santé français. A ce titre, les données de la cohorte ANRS Trans & VIH sont particulièrement attendues [1].
Les offensives politiques transphobes se multiplient
Les enjeux juridiques de la vie des personnes trans sont passés de l’indifférence à une situation de polarisation politique
Les enjeux liés à la vie des personnes trans sont restés jusqu’à récemment marginaux dans le débat politique en France : jusqu’à 2012, ils étaient absents des textes législatifs, et dépendaient principalement d’une jurisprudence inégalement appliquée. La pression des activistes trans a conduit à faire entrer l’identité de genre en 2012 dans la liste des critères de discrimination interdits par la loi, et depuis 2016 la loi encadre la possibilité de changer d’état-civil. Cette évolution a rencontré des résistances sérieuses de la part des pouvoirs publics : la France a ainsi été condamnée à plusieurs reprises par la Cour Européenne des Droits de l’Homme en raison des restrictions qu’elle imposait pour changer d’état-civil. Pour autant, elles ont été largement absentes du débat public : ces évolutions législatives se sont faites dans une relative indifférence, en tout cas sans mobilisation bruyante de militant-e-s réactionnaires.
La situation semble bien différente aujourd’hui : en s’appropriant les tactiques de militant-e-s conservateur-rice-s d’autres pays, en particulier britanniques et américains, une poignée d’activistes transphobes s’emploient à imposer le sujet dans le débat public en privilégiant un angle sensationnaliste et polarisant. Leur action est malheureusement suivie d’effets dans le débat parlementaire. Ainsi, deux propositions de loi ont été récemment déposées par des parlementaires de droite extrême et d’extrême-droite pour interdire aux mineur-e-s l’accès à un parcours de transition physique, à rebours de toutes recommandations des spécialistes de la prise en charge des mineur-e-s trans. Au cours de la campagne des législatives de juillet 2024, Emmanuel Macron s’en est pris à la revendication de longue date du mouvement trans de permettre le changement d’état-civil en mairie, sur simple déclaration. En s’opposant à une mesure de simplification administrative, recommandée par le Défenseur des droits, il s’agit en réalité de désigner les personnes trans comme une cible légitime en espérant rallier des électeurs supposément sensibles aux thèses transphobes.
La lutte contre l’épidémie exige une vigilance constante contre ces offensives transphobes
L’ensemble des données disponibles en témoigne : les violences et les discriminations transphobes sont les principaux ressorts de la dynamique de l’épidémie chez les personnes trans. Les avancées médicales en matière de traitement et de prévention ne permettront pas d’endiguer l’épidémie si elles ne s’accompagnent pas d’une approche inclusive dans l’ensemble du parcours de soins, et d’une lutte résolue contre les violences et discriminations qui ciblent les personnes trans.
Les évolutions récentes de la situation politique aux Etats-Unis et au Royaume-Uni le montrent : les progrès des dernières années sur le plan de l’inclusion effective des personnes trans sont fragiles face à des adversaires organisés. Lorsque ces progrès n’ont été que partiels, ils sont exposés à des revirements législatifs et jurisprudentiels susceptibles de nous faire revenir plusieurs décennies en arrière du point de vie de la protection légale contre les discriminations et violences transphobes.
Les opposants à l’inclusion réelle des personnes trans ne se sentent pas tenus par le respect de la vérité ou des personnes, et lorsqu’ils parviennent au pouvoir, la glissade peut être très rapide vers une remise en cause des avancées obtenus par plusieurs décennies d’activisme. Cela concerne aussi bien la lutte contre les discriminations que le soutien direct aux personnes trans vivant avec le VIH, et l’accès au traitement et à des dispositifs de prévention efficaces et inclusifs. Le financement d’une recherche objective n’est pas épargné. A cet égard, la fin du financement fédéral de programmes de recherche sur la santé des personnes trans aux Etats-Unis ne permet plus de défendre l’idée qu’il est possible d’adopter en France une position attentiste, en espérant que des données pertinentes soient collectées ailleurs. Il importe au contraire d’amplifier l’effort dans la collecte de données objectives, au plus près des personnes trans elles-mêmes, pour s’assurer que des résultats crédibles soient disponibles pour continuer à améliorer la prise en charge préventive et thérapeutique des personnes trans face à l’épidémie.
Revenir sur les quelques avancées des dernières années en matière de protection de la vie privée ou de lutte contre les discriminations n’est pas une option : c’est abandonner la seule stratégie rationnelle de lutte contre le VIH-sida. Ces avancées doivent être pérennisées et étendues. L’inclusion des personnes trans parmi les populations-clés de la lutte contre l’épidémie par l’ONUSIDA le rappelle : mettre fin au VIH-sida ne peut se faire ni sans elles, ni contre elles.
Sources
[1] Mora M., et al. 2021. “Living conditions, HIV and gender affirmation care pathways of transgender people living with HIV in France: a nationwide, comprehensive, cross-sectional, community-based research protocol (ANRS Trans&HIV).” BMJ Open, 11:e052691.