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Le risque de transmission bucco-génitale

par | 04.04.2011

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Le risque de transmission du VIH par fellation fait l’objet de discussions au sein de la communauté LGBT, et entre les acteurs de prévention. Sur quelle base scientifique peut-on fonder son opinion ?
En 2008, une équipe britannique s’est livrée à une analyse de la littérature scientifique sur le sujet qui montre que l’évaluation du risque est très peu documentée. Bien que faible, rien ne permet d’en conclure qu’il soit nul. Les auteurs recommandent donc la conduite d’études plus importantes.

Par voie bucco-orale, ces chercheurs londoniens comprennent la fellation et le cunilingus, entre personnes de même sexe ou non. Les anulingus ont été exclus de leur analyse. Pour cette équipe britannique, il est nécessaire d’obtenir des indications fiables sur ce risque de transmission. Certes, il existe des études de cas qui montrent que ce risque n’est pas nul, même s’il est plus faible que les pénétrations anales ou vaginales non protégées. Mais une estimation plus précise et chiffrée permettrait de lutter contre les confusions que peut engendrer l’absence de donnée sur le sujet et donnerait aux professionnels et aux acteurs de prévention la possibilité de mieux conseiller les personnes qu’ils suivent.

En utilisant une base de données d’études scientifiques, et en introduisant les mots-clés se rapportant à leurs sujet d’investigation, les auteurs ont recensé plus de 56 000 résumés d’études depuis le début de l’épidémie jusqu’à juillet 2007. Après une sélection de plus en plus rigoureuse, il apparaît que seules 10 études, toutes faites dans des pays industrialisés, produisent des résultats pertinents. Si beaucoup d’études évoquent ce risque de transmission, seule une dizaine propose donc des estimations recevables.

Les études concernent tour à tour les hétérosexuels, les lesbiennes, les hommes ayant des relations sexuelles avec les hommes (HSH), ou plusieurs catégories de population, vivant ou non en couple, séro-différent ou non, connaissant ou non le statut de leur partenaire. Certaines enquêtes sont des modélisations. L’échantillon de personnes étudiées peut être plus ou moins important. Les enquêtes peuvent porter sur des risques déclarés au sein de couples, ou lors de relations de plus ou moins longues durées. Enfin, certaines études portent sur le seul risque lié aux relations bucco-génitales, d’autres englobent d’autres pratiques sexuelles à risque, notamment les sodomies non protégées.

Les 10 enquêtes retenues produisent en tout 14 pourcentages de nature différente : risque par partenaire, risque par acte, incidence, risque par participant à un essai. 9 études témoignent de l’absence de transmission du VIH par voie bucco-génitale au sein de l’échantillon étudié. Toutes les données d’incidence se rangent dans cette catégorie.

Les cinq études restantes produisent des chiffres variés. Deux sont des probabilités de transmission caclulées au sein de couples sérodifférents stables (« risque par partenaire »). On y constate une grande divergence, allant de 1 à 20 % de risque par partenaire, certainement liée à la taille des échantillons proposés.

Deux résultats proposent des pourcentages parmi des gays séronégatifs suivis dans des cohortes, et n’ayant eu comme risque déclaré que la fellation non protégée (« risque par participant à un essai ») : 0,37 % et 0.45%, de séroconversion, le premier chiffre étant le résultat d’une modélisation. Étant donné la prévalence du VIH chez les gays, ces chiffres ne peuvent être généralisés à la population globale. De plus, ces données ne prennent pas en compte le nombre de partenaires, ni la connaissance de leur statut. Il est donc difficile d’en tirer des conclusions pour l’ensemble des MSM eux-mêmes.

Enfin, la dernière estimation identifiée est un pourcentage fondé sur l’acte lui-même (« risque par acte ») : 0,04 % . Là aussi, les données concernent les gays, avec les mêmes limites que les deux études précédentes.

L’analyse de la littérature scientifique confirme donc l’hypothèse des chercheurs londoniens : le risque de transmission du VIH par voie bucco-génital est très peu documenté. Le faible nombre d’études et leur très grande hétérogénéité empêchent une évaluation fiable et globale de ce risque. Pour les chercheurs, ce phénomène peut être lié aux difficultés qu’ont les études à identifier des personnes qui n’auraient que les relations buco-génitales non protégées comme pratiques à risque, mais aussi à une tendance à rapporter un cas de transmission aux pratiques à risque les plus élevées, comme les sodomies non protégées. Inversement, certaines personnes suivies peuvent avoir sur-déclaré des risques liées à la fellation ou au cunilingus, notamment parce qu’elles ne souhaitent pas témoigner de pénétrations anales ou vaginales non protégées.

Malgré ces biais, malgré le peu d’études et leurs résultats hétérogènes, les chercheurs confirment que le risque de transmission du VIH-1 par voie bucco-génitale est faible, mais non nul. Ils appellent à conduire des études plus larges sur le sujet et conseillent aux personnes concernées d’utiliser capotes et digues dentaires pour réduire le risque de transmission.

Questionnement scientifique

L’équipe britannique est partie d’un constat : le risque de contamination par voie oro-génitale n’est pas quantifié. Il existe des preuves que ce risque existe, mais elles reposent sur des déclarations de situations individuelles, qui peuvent parfois être biaisées, et qui surtout ne permettent pas de produire de chiffre. Selon les chercheurs, ce vide dans nos connaissances produit de la confusion dans les discours de prévention. Avec une information plus fournie, les acteurs de prévention, notamment les cliniciens, auraient un outil supplémentaire pour conseiller efficacement les personnes qu’ils suivent. C’est d’autant plus important que les chercheurs anglais avancent l’hypothèse que la part relative des contaminations par fellation ou cunilingus, même si elle est basse, peut avoir augmenté du fait de la baisse des autres pratiques à risque. Les scientifiques ont donc cherché à voir ce que nous disent les études existantes sur la probabilité de transmission du VIH par voie oro-génitale, et ce depuis le début de l’épidémie. Il fallait pour cela se livrer à une analyse systématique de ces études.

Méthodologie

Premier impératif : s’assurer de n’oublier aucun résultat pertinent dans l’ensemble de la littérature scientifique. Les auteurs ont donc consulté une base de données de recherche médicale, PubMed en introduisant des critères le plus large possible. Dans le moteur de recherche de ce site, ils ont combiné des mots-clés plus ou moins proches de leur sujet, qui allaient de « VIH » à « couple », en passant par « transmission ». Ils ont ainsi obtenu 56 214 titres !

Bien sûr, beaucoup n’apportaient aucun élément portant sur le sujet. Mais il fallait les exclure en respectant un deuxième impératif : sélectionner en s’assurant qu’on ne mettait pas de côté des données pertinentes, y compris dans des études portant sur des sujets plus vastes que les seuls rapports oro-génitaux. Les scientifiques ont donc procédé par étape, éliminant les études non pertinentes d’abord par la lecture du titre, puis du résumé, puis de l’étude dans son entier. Ont ainsi été éliminées les analyses sans rapport avec la question du risque de transmission et les études qui portaient exclusivement sur la transmission par pénétration anale ou vaginale. Sur les derniers papiers, il a encore fallu mettre de côté ceux qui évoquaient le risque de transmission par voie bucco-génitale, mais qui n’apportait aucune donnée en matière d’évaluation chiffrée du risque. La consultation d’expert et de bibliographies leur a permis de rajouter trois références. Mais au final, sur plus de 56 000 titres, il n’est resté que 10 études produisant 14 chiffres d’évaluation du risque.

Résultats
Une très grande diversité des conditions d’étude

Les 10 études sélectionnées ont toutes été faites dans les pays riches. Une des études suivait l’ensemble des pratiques de couples sérodiscordants : couples lesbiens pour une étude, hétérosexuels pour deux autres, hétéros et homosexuels masculins pour une quatrième. Les six autres suivaient des HSH hors couples. Les types d’exposition sont aussi très variés : relation orale insertive et/ou réceptive, avec ou sans éjaculation, déclarée comme seule pratique à risque ou non, dans le cadre d’une relation identifiée comme fidèle ou dans le cadre de multipartenaires, sur des durées (que ce soit la durée de l’étude, celle de la relation avec un partenaire, ou celle, déclarée, de l’exposition au risque) très différentes elles-aussi.

Analyse des résultats

Quatre type d’évaluation du risque de transmission sont produits : un pourcentage par partenaire (principalement fourni par les études suivant des couples), un pourcentage en terme d’incidence, un pourcentage par personne incluse dans l’étude, et un pourcentage par acte. Sur les 14 estimations produites par les 10 études, 9 donnent un risque de 0 %. Le tableau suivant résume les 5 résultats non nuls et rappellent brièvement les conditions de l’essai :

Type de risque Conditions de production de l’évaluation du risque de transmission Chiffre produit
Par partenaire Etude prospective suédoise (de 1992) où 10 couples sérodiscordants hétéro et homosexuels masculins, déclarant une relation fidèle, ont été identifiés et suivis entre 1989 et 1990 pour évaluer ce risque, qui concerne ici la fellation, réceptive ou insertive, avec ou sans éjaculation. 20 %
Par partenaire Au sein d’une étude prospective américaine (1994) portant sur 410 HSH exposés à de multiples risques. Est évalué ici le risque lié à des fellations réceptives, avec ou sans éjaculation. 1 %
Par personne (séronégative) incluse dans l’étude Etude prospective américaine suivant entre 1984 et 1987 des MSM séronégatifs déclarant ne pas avoir eu de rapports anaux dans les 12 derniers mois.Fellation insertive ou réceptive, avec ou sans éjaculation. 0,37 %
Par personne (séronégative) incluse dans l’étude Cohorte canadienne (2008) suivant des MSM séronégatif à l’entrée dans l’étude, n’ayant pas eu de relations anales depuis 6 mois. Fellation réceptive avec au moins un partenaire occasionnel, avec ou sans éjaculation. 0, 45 %
Par acte Etude prospective de 1999, suivant entre 1992 et 1994 une moyenne de 2633 HSH par an fortement exposé à un risque. Le chiffe concerne ici des fellations non protégées réceptives avec éjaculation. 0,04 %

Pour les auteurs, ces estimations sont difficilement exploitables. Le chiffre de 20 % ; extrêmement important, est sans doute lié à la faible taille de l’échantillon et à de possibles sous-déclarations d’autres pratiques à risques, que les participants auraient plus de mal à révéler à leurs partenaires ou aux chercheurs. Quant aux trois derniers chiffres, ils sont difficilement généralisables. Il faudrait en effet pouvoir comparer la séroprévalence en population dite générale au contexte de l’essai. Or, dans ces trois études, on ne sait combien de partenaires ont eus les personnes incluses, ni si ceux-ci étaient séropositifs ou non. La généralisation des chiffres produites est donc impossible.

Discussion des résultats

Le risque de transmission par voie bucco-orale est donc peu et mal documenté. Les chercheurs britanniques proposent à titre d’hypothèse plusieurs explications : la difficulté d’identifier des personnes qui n’auraient que cette pratique à risque ou encore la focalisation du monde scientifique et des acteurs de prévention sur des pratiques plus risquées, comme la sodomie non protégée. De plus, l’équipe londonienne rappelle la difficulté d’exploiter les chiffres qu’ils ont recensés du fait de leur extrême diversité ou des biais qu’ils ont pu repérer.

« Il est probable, rappellent les chercheurs, que différents types de rapports bucco-génitaux impliquent différents risques de tranmission ». Ils citent ainsi un rapport d’expert du Royaume-Uni sur la prise en charge du VIH, indiquant qu’il serait raisonnable de supposer que l’éjaculation accroît l’exposition au risque, et que l’éviter permettrait de réduire ce risque. « Une fois de plus, martèle l’équipe londonienne en réponse, il n’y a pas assez de données pour documenter cette supposition. »

Les chercheurs en appellent donc à des études systématiques, qui, étant donné le faible risque de transmission, doivent inclure beaucoup de personnes, sur une longue durée afin d’obtenir des données suffisantes pour une évaluation fiable de ce risque.

En conclusion, rappellent les auteurs, « malgré le peu de données, il apparaît que le risque de transmission sexuelle par voie oro-génitale est très faible, mais non nul – les personnes doivent se protéger en utilisant préservatifs et digues dentaires afin de réduire ce faible risque. »

Source :

Rebecca F Baggaley, Richard G White and Marie-Claude Boily, « Systematic review of orogenital HIV-1 transmission probabilities », International Journal of Epidemiology 2008 ; 37 : pages 1255–1265.

commentaire redaction full
Nous reprenons bien sûr à notre compte les conclusions qu’impose l’analyse des chercheurs britanniques. D’autres études sont indispensables pour documenter les risques de transmission en fonction des situations et asseoir débats et politiques de prévention sur des bases scientifiques solides.
La fellation est une pratique qui est au coeur des débats de prévention et de « réduction des risques sexuels ». Comment avancer dans ces débats sans données scientifiques précises ? Ainsi, peut-on, malgré toutes les apparences de sa vraisemblance, totalement cautionner l’idée qu’éviter l’éjaculation dans la bouche réduit les risques quand une analyse de l’ensemble de la littérature scientifique nous indique qu’il n’y pas de données pour confimer cette assertion ? Comment, en l’absence de données fiables, conseiller autre chose qu’une protection maximale, capote et digue dentaire ?
De nouvelles études produisant des chiffres fiables sont donc indispensables à la qualité des débats et la pertinence des messages de prévention. Cela dit, une statistique, aussi fiable soit-elle, ne peut suffire à orienter une stratégie personnelle. Pour prendre un exemple totalement opposé au risque d’infection par un virus incurable, il y a 0,00000715 % de chances de tirer les 6 bons numéros au loto. Ce très faible chiffre n’empêche pas que, régulièrement, des personnes obtiennent le gros lot…
Au-delà des scientifiques et de la nécessaire production de données fiables, c’est donc aussi à notre communauté de s’interroger sur ces pratique oro-génitales, sur les raisons qu’ils font que nous parlions si peu des risques de transmission qu’elle peut impliquer et sur le lien entre risques statistiques et risques individuels.
En attendant, comment mieux formuler que les chercheurs les recommandations qu’ils avancent en conclusion : capote et digues dentaires sont indispensables pour minimiser ce risque, aussi faible soit-il.