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PrEP (prophylaxie pré-exposition) et risque de transmission d’un virus résistant

par | 14.04.2011

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C’est en 2010 que l’on attend les résultats d’essais cliniques de grande envergure visant à évaluer l’efficacité de traitements antirétroviraux utilisés avant l’exposition au VIH pour prévenir la contamination, ce que l’on appelle un traitement de pré-exposition (PrEP en anglais pour preexposure prophylaxis). Certains s’inquiètent d’un risque associé d’augmentation de transmission de virus résistants. Cette inquiétude est-elle fondée ? Il semblerait que oui…

L’étude que nous présentons est une modélisation mathématique de l’évolution sur dix ans du profil des contaminations à l’échelle d’une population d’hommes pratiquant le sexe entre eux, suite à l’introduction de l’utilisation des antirétroviraux en PrEP. Le modèle proposé par deux équipes américaines est calibré pour prédire l’effet de l’utilisation des PrEP sur l’épidémie dans la population de San Francisco.

Parce qu’il s’agit d’antirétroviraux, l’utilisation des PrEP à grande échelle pourrait bien entraîner une augmentation substantielle de contaminations par des virus résistants. Ainsi, si une des prédictions du modèle est bien une réduction substantielle de la transmission du VIH après utilisation des PrEP, une autre prédiction est l’augmentation de la proportion des nouvelles infections dues à des souches résistantes. Cependant, il n’y a pas lieu de s’inquiéter de voir les PrEp augmenter significativement la transmission de virus résistants dans tous les cas. Plus précisément, les simulations indiquent qu’en l’absence d’augmentation de prises de risque, l’inquiétude de voir apparaître une augmentation substantielle de transmission de virus résistants n’est pas fondée, mais qu’elle l’est dès lors que les prises de risques augmentent.

Introduction

L’utilisation des PrEP pour prévenir l’infection par le VIH fait l’objet de plusieurs essais cliniques dits de phase III dont certains en cours avec des résultats attendus courant 2010 et d’autres qui vont démarrer dans l’année (voir le tableau 1 dans le supplément de l’article). Les antirétroviraux utilisés sont le ténofovir seul (Viread®) ou en combinaison avec l’emtricitabine (Truvada®). Si les résultats sont concluants (sécurité d’emploi et efficacité), cette approche pourrait être introduite comme moyen de prévention de l’infection.

Les trithérapies antirétrovirales sont connues pour leur efficacité contre le VIH. En maintenant une pression sur le virus à plusieurs niveaux, celles-ci empêchent l’apparition de mutations virales dites de résistance. Néanmoins, dans les pays ayant accès à ces trithérapies et dans les populations où les comportements à risque sont fréquents, le nombre de cas de transmission de virus résistant est déjà élevé – prévalence de 10 à 25%. L’utilisation d’un traitement antirétroviral du type de ceux constituant les PrEP actuellement étudiées comme moyen de prévention à grande échelle peut donc légitimement susciter une inquiétude en matière de propagation de virus résistants. Si tel était le cas, non seulement l’épidémie deviendrait plus difficile à contrôler, mais, à l’échelle individuelle, les possibilités de traitement se verraient de facto limitées puisque nombre d’antirétroviraux seraient d’emblée inactifs contre le virus.

Enfin, le fait de se sentir protégé par l’utilisation de PrEP peut s’accompagner d’une prise de risque accrue, un autre élément qui pourrait bien contribuer à faire augmenter le nombre de cas de transmission de virus résistants.

Questionnement scientifique et hypothèses avancées

Faute de recul sur le sujet, il n’est pas possible aujourd’hui de savoir si cette inquiétude de voir flamber le nombre de cas de transmissions de virus résistants suite au déploiement des PrEP est fondée. Par contre, l’utilisation de modèles mathématiques complexes intégrant un grand nombre de paramètres permet d’estimer ce risque. Il existe déjà des modèles rendant compte de la dynamique de transmission des souches sauvages et résistantes dans une communauté ayant accès aux trithérapies et engagée fréquemment dans des comportements à risque de transmission du VIH. Un tel modèle repose sur une description dynamique de la progression de l’infection au niveau de la communauté représentée et incorpore les individus susceptibles d’être infectés, ceux infectés et non traités et ceux sous traitement. Le modèle présenté intègre en plus l’utilisation des PrEP.

Pour étudier la résistance, le modèle distingue évidemment la possibilité d’être infecté par un virus sauvage ou résistant. L’élément crucial par rapport à la question soulevée – les traitements PrEP augmentent-ils la transmission de virus résistants ? – est la description de l’origine et du devenir de la résistance. Ainsi, dans le modèle, les individus infectés peuvent acquérir une résistance s’ils ont reçu une prescription de PrEP avant que leur infection ne soit détectable ou bien s’ils sont infectés sous PrEP – rappelons que le degré d’efficacité des PrEP n’est pas encore déterminé – et continuent à le prendre. Le développement de résistance chez les individus sous traitement est aussi incorporé, ainsi que la possibilité de réversion de cette résistance quand la pression de sélection due aux traitements est enlevée (le virus mute en permanence et les souches résistantes sont moins aptes à perdurer en cas de compétition avec des souches sauvages). La possibilité de ré-emergence d’une souche résistante est aussi prise en compte dans le modèle lorsque, après développement de résistance sous PrEP, puis réversion, il y a traitement. Dans ce cas, les souches sauvages sensibles au traitement disparaissent très vite au profit des résistantes à partir de réservoirs qui hébergent et archivent toutes les formes du virus, sauvage ou résistant ; ils y demeurent sous une forme inactive, mais des fuites permanentes ont lieu, sous forme de virus actif.

Forts d’un modèle complexe, les chercheurs ont alors simulé l’évolution de la population étudiée pour estimer l’importance des PrEP sur la transmission du VIH après 10 ans d’emploi. L’utilisation du préservatif, le nombre de partenaires et de rapports sexuels sont aussi intégrés au modèle afin d’évaluer l’influence de prises de risque accrues sous PrEP.

Méthodologie

Le modèle représente les flux de transmission virale entre individus en fonction d’un très grand nombre de paramètres pour coller au plus près à la réalité d’une communauté ayant accès aux outils de prévention, au dépistage et aux traitements. Le modèle distingue bien sûr les personnes sous et sans PrEP. Il est conçu pour intégrer les personnes susceptibles d’être infectées, celles infectées par un virus sauvage ou résistant et celles sous trithérapie. Il tient compte des différents stades avant trithérapie, à savoir l’infection primaire et aiguë, la phase où la trithérapie n’est pas encore recommandée (plus de 350 CD4) et celle où elle l’est (moins de 350), mais pas encore effective. Un certain nombre d’hypothèses étayées par les données du terrain sont incorporées dans le modèle, comme par exemple une plus grande efficacité de transmission des souches sauvages par rapport aux résistantes. Pour calibrer leur modèle, les chercheurs ont utilisé des données issues de modèles animaux et des résultats provenant des essais cliniques de phase II d’utilisation de PrEP.

Toutes les interactions répertoriées sont converties sous forme de 72 équations différentielles. Avant d’utiliser le modèle pour faire des prédictions, les chercheurs ont utilisé une méthode mathématique – filtre de Monte Carlo – qui leur a permis d’adapter le modèle à l’environnement des hommes ayant des relations sexuelles entre eux à San Francisco. Le modèle est calibré pour refléter la situation épidémiologique actuelle de cette communauté dans cette ville : prévalence du VIH d’environ 27% avec environ 16% des nouvelles infections dues à des virus résistants aux traitements. Le modèle collant ainsi à la réalité empirique du terrain, ils ont pu alors mener leurs simulations pour estimer l’impact des PrEP sur 10 ans.

Parce qu’il est difficile d’estimer précisément certains paramètres, notamment pour les PrEP (couverture d’utilisation, efficacité), le modèle fonctionne en intégrant des plages larges de valeurs pour certains paramètres – les techniques mathématiques utilisées font appel aux analyses dites d’incertitude et de sensibilité. Ainsi, pour donner quelques exemples, l’efficacité des PrEP pour prévenir l’infection des souches sauvages est prise entre 30 et 90% ; l’efficacité relative pour prévenir l’infection des souches résistantes est prise entre 0 et la valeur moitié de l’efficacité contre les souches sauvages. Les paramètres d’application du programme de PrEP ont aussi des valeurs par plage : par exemple, la proportion moyenne d’individus sexuellement actifs séronégatifs qui vont adopter un traitement PrEP dans l’année ou au contraire la proportion de ceux qui vont l’abandonner. Des plages de valeurs sont aussi prises en compte pour les paramètres démographiques et comportementaux (par exemple, pour le taux annuel de jeunes débutant une activité sexuelle ou le nombre de nouveaux partenaires sexuels par an), pour ceux associés aux différents stades de développement de l’infection (temps passé dans chaque stade, charges virales, probabilité de transmission), pour ceux liés aux traitements (par exemple, la proportion de personnes éligibles pour un traitement qui en prennent effectivement ou bien le taux d’évolution annuelle de personnes sous traitement arrêtant la prise de celui-ci), et pour ceux liés à la réversion de la résistance.

La résistance étant un phénomène complexe, le modèle en tient effectivement compte en intégrant les phases d’émergence, de réversion et de ré-émergence de virus résistant au niveau individuel. Le modèle tient compte du fait qu’on peut déjà être infecté sous PrEP. Dans ce cas, l’influence de la PrEP sur la virémie est incorporée. Comme il s’agit d’un modèle applicable à un pays ayant accès aux soins et au dépistage, le modèle présente aussi une couche de complexité supplémentaire en intégrant la fréquence du dépistage et la durée de la période entre contamination et test positif pour le VIH. Augmenter cette fréquence et réduire cette durée contribuent à diminuer l’émergence de résistance chez les primo-infectés sous PrEP.

Résultats

En tenant compte des incertitudes sur certains paramètres, le modèle permet d’évaluer leur impact sur les prédictions, ce qui est représenté dans l’article par des figures très gay-friendly (voir en fin de chapitre).

Effet des PrEP sur la transmission au bout de 10 ans : sans rentrer dans les détails de toutes les figures présentées, il ressort tout d’abord de façon attendue qu’un traitement PrEP hautement efficace combiné à une forte couverture d’utilisation et une absence de prise de risque supplémentaire diminuera la transmission du VIH de manière substantielle. Par contre, s’il y a compensation en terme de prise de risque, le modèle prédit une moindre efficacité. Cependant, le seuil à partir duquel les PrEP n’ont plus d’effet pour prévenir la transmission – au-delà de ce seuil, il y a augmentation – est relativement élevé. Ainsi, une augmentation de prise de risque sous PrEP notable, définie par exemple par l’abandon de l’utilisation de préservatifs et une augmentation du taux annuel d’acquisition de nouveaux partenaires sexuels de 50% permet toujours de réduire de 15% le nombre de contaminations sur 10 ans. Par contre, si le taux annuel d’acquisition de nouveaux partenaires sexuels passe au-delà de 70%, toujours dans l’hypothèse d’un abandon total du préservatif, les PrEP participeront à augmenter la transmission.

Effet des PrEP sur la proportion de virus résistants transmis au bout de 10 ans : sur la base d’une communauté dont 16% des nouvelles contaminations sont dues à des virus résistants (cas de San Francisco), le modèle prédit que dix ans d’utilisation de PrEP conduiront à plus d’un tiers de nouvelles contaminations dues à des virus résistants, qu’il y ait ou non changement de prise de risque – 35% s’il n’y a pas de changement et 38% si les prises de risque augmentent. Cela étant, tout est relatif car il s’agit de proportion de contaminations de type résistant par rapport au total sauvage plus résistant. Il faut aussi évaluer si le nombre absolu de nouvelles infections de type résistant augmente ou bien diminue !

Effet des PrEP sur le nombre de nouvelles infections dues à des virus résistants au bout de 10 ans : dans le titre de leur article, les chercheurs parlent de paradoxe. En effet, alors que la proportion de virus résistants transmis augmente, selon les cas, le nombre absolu de ce type de contaminations peut en réalité diminuer ou augmenter. La proportion peut augmenter en fait pour différentes raisons : (1) transmission accrue de souches résistantes et diminution de transmission des souches sauvages, (2) transmission accrue des souches sauvages couplée à une augmentation encore plus prononcée des transmissions de souches résistantes et (3) réduction de la transmission des souches résistantes couplée à une réduction encore plus prononcée de la transmission des souches sauvages.
Le modèle prédit que le cas 3, dit paradoxal, est extrêmement improbable s’il y a augmentation de prise de risque, mais qu’il peut être constaté si la prise de risque n’est pas modifiée. Ce dernier cas correspondrait à une efficacité des PrEP supérieure à 30% vis-à-vis des souches sauvages et une efficacité relative pour protéger contre les souches résistantes supérieure à 0,2, mais moindre que celle contre les souches sauvages.
Si les prises de risque restent stables durant la période de dix ans, le modèle prédit donc, contrairement aux attentes, que les PrEP vont diminuer la transmission de souches résistantes. Par contre, si les prises de risque augmentent, les PrEP vont augmenter significativement le nombre d’infections dues à des virus résistants. Ce qui dictera le niveau de cette augmentation sera l’augmentation du nombre de partenaires sexuels par an et/ou la diminution de l’utilisation du préservatif. Le modèle prédit un seuil relativement bas, c’est-à-dire que même un relâchement modeste entraînera une augmentation des contaminations par un virus résistant. A titre d’exemple, les chercheurs prédisent qu’une augmentation annuelle de 40% du nombre de partenaires couplée à une diminution de 50% de l’utilisation du préservatif peut conduire à 50% de nouvelles contaminations par un virus résistant.

Pour les lecteurs curieux : ceux-ci verront dans l’article original des figures comprenant deux axes, horizontal et vertical, englobant les marges de valeurs pour deux paramètres – par exemple, la plage d’efficacité des PrEP sur les souches virales sauvages (entre 30 et 90%) pour l’axe horizontal et la couverture d’utilisation dix ans après l’introduction des PrEP, sur la figure 1. Dans le rectangle correspondant, chaque point correspond à une valeur sur un des axes et une couleur de l’arc-en-ciel lui est attribuée pour représenter une des prédictions – par exemple du bleu pour les faibles valeurs au rouge pour les hautes pour représenter le pourcentage cumulé sur 10 ans du nombre d’infections évitées par l’emploi des PrEP, dans l’hypothèse où il n’y a pas d’augmentation des prises de risque.

Discussion

Même si le modèle discuté a été calibré pour représenter une possible évolution de la transmission du VIH dans une communauté bien spécifique, les prédictions que les chercheurs en tirent sont susceptibles d’être applicables dans toute communauté où existent des comportements à risque qui a bénéficié de la mise à disposition de traitements sur plusieurs années et dont le niveau de transmission de souches résistantes est déjà élevé. Dans ces conditions, le modèle prédit que le déploiement de PrEP est susceptible de diminuer le nombre de nouvelles contaminations, même avec un traitement prophylactique d’efficacité modérée, à condition que la couverture soit large et qu’il y ait stabilité des comportements en terme de prise de risque.

L’existence d’une circulation notable de souches résistantes avant déploiement des PrEP a pour conséquence, d’après le modèle, une augmentation de la proportion de contaminations liées à ces souches résistantes après déploiement. Cependant, s’il n’y a pas modification des comportements en terme de prise de risque, il n’y a pas lieu de s’inquiéter car cette augmentation de la proportion étudiée résulte en fait d’une diminution des contaminations qu’il s’agisse de souches virales sauvages ou résistantes, la diminution pour les sauvages étant plus forte que pour les résistantes. Les chercheurs insistent sur le fait que les autorités doivent être préparées à ce paradoxe lié au déploiement sans augmentation des risques.
Par contre, s’il y a modification des comportements, l’augmentation de la proportion de contaminations liées à des souches résistantes sera très vraisemblablement le résultat d’une diminution des contaminations par souche sauvage couplée à une augmentation des contaminations par un virus résistant. Dans ce cas, il y aura effectivement lieu de s’inquiéter du fait que les PrEP augmentent la transmission de résistance. Les auteurs indiquent qu’il sera alors crucial de développer de nouveaux traitements antirétroviraux efficaces contre les virus résistants aux traitements existants.

Source :

HIV, transmitted drug resistance, and the paradox of preexposure prophylaxis.
Supervie V, García-Lerma JG, Heneine W, Blower S.
Proc Natl Acad Sci U S A. 2010 Jul 6 ;107(27):12381-6. Epub 2010 Jun 28.

commentaire redaction full
Le modèle présenté est susceptible d’être applicable en dehors de la communauté des hommes qui pratiquent le sexe entre eux à San Francisco (MSM, men-who-have-sex-with-men) et les prédictions du modèle sont inquiétantes pour la transmission de résistance si la prise d’une PrEP conduit à un relâchement global des comportements se traduisant par une augmentation des prises de risque. En effet, dans ce cas, le modèle prédit une augmentation des contaminations dues à des souches résistantes, plus difficiles à traiter, quand bien même, selon l’efficacité de la PrEP utilisée, le nombre de contaminations dues à des souches virales sauvages tendrait à diminuer. Tout va dépendre de ce changement de comportement.

Les auteurs de l’article signalent que 70% des MSM en Californie et dans le Massachusetts sont prêts à prendre une PrEP chaque jour si elle s’avère sûre pour la santé et efficace – rappelons que si la sécurité d’emploi semble en bonne voie, mais que l’efficacité reste encore à démontrer, ce qui est l’objet d’études cliniques en cours et à venir. Voilà pour une estimation future de la couverture aux États-Unis – une enquête communautaire est en cours en France (article du trt5).

Côté comportement, toujours chez les américains, ce sont les MSM qui déclarent avoir des comportements à risque qui seraient les plus susceptibles de recourir aux PreP pour se protéger. Comment réagiront réellement ceux qui aujourd’hui prennent – ou déclarent prendre – peu ou pas de risque ? La question est ouverte.

Il sera essentiel de bien informer sur les limites de l’efficacité des PrEP. Comme toujours, il y a une grande différence entre ce que l’on observe au niveau de la dynamique globale d’une population – surtout quand il s’agit de modélisation comme ici et non d’observations réalisées sur le terrain – et ce qui se passe à l’échelon individuel. Les PrEP envisagées à ce jour ne seront certainement pas efficaces à 100% – dans leur modèle, les chercheurs ont pris une fourchette d’efficacité de 30 à 90%.