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Comment ils pensent avoir été infectés : l’incidence des comportements de réduction des risques sexuels

par | 10.12.2010

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Des stratégies de réduction des risques sexuels ont été mises en place comme alternative à l’utilisation systématique du préservatif. À l’aide de ces méthodes, certains hommes homosexuels choisissent d’avoir des rapports anaux non protégés (RANP). Cependant, l’incidence de ces stratégies n’est pas réellement connue vis à vis de la transmission de l’infection au VIH. Quelle est alors l’efficacité de ces techniques de prévention ?

Il existe différentes stratégies pour réduire les risques d’infection par le VIH chez les hommes homosexuels qui ont des rapports anaux non protégés (RANP). On recense le sérotriage, le positionnement stratégique, et la négociation autour de la charge virale.

Cette étude décrit les différents comportements sexuels et les stratégies de réduction des risques sexuels utilisés par des hommes homosexuels récemment infectés. Elle regroupe des Australiens qui ont été diagnostiqués en primo-infection entre 2003 et 2006. À la suite de l’annonce de leur sérologie, certains ont répondu à un questionnaire lors d’un entretien avec une infirmière.

 

Parmi les 158 hommes qui ont participé à cette étude, 143 (91%) ont été en mesure d’identifier l’événement à haut risque qui, selon eux, a conduit à leur séroconversion ce qui impliquait des RANP chez 102 hommes (71%). D’ailleurs, 10 d’entre eux (10%) ont déclaré que le comportement le plus à risque était d’avoir eu des RANP insertifs. Parmi ces 102 hommes, 21% ont déclaré qu’ils étaient certains que leur partenaire était séronégatif. De plus, sur les 21 hommes qui ont déclaré connaître la charge virale de leur partenaire séropositif, 9 ont rapporté qu’elle était indétectable.

Ainsi, dans 38% des événements à haut risque impliquant un RANP, l’infection s’est produite malgré la mise en place de stratégies de réduction des risques comme le sérotriage, le positionnement stratégique, ou le choix d’avoir des rapports sexuels non protégés avec un homme dont la charge virale était censée être indétectable.

Les comportements sexuels à risque chez les hommes homosexuels ont augmenté depuis le milieu des années 1990 dans la plupart des pays développés. Bien que les hommes homosexuels aient adopté des stratégies complexes pour réduire le risque de contracter le VIH, ils ont encore des rapports anaux non protégés (RANP). Au moins 3 pratiques ont été décrites :

  • le sérotriage, qui consiste à adapter ses pratiques sexuelles en fonction du statut sérologique, connu ou supposé, de ses partenaires. Bien que cette méthode ait été initialement décrite chez les homosexuels séropositifs, il semble que le sérotriage soit également pratiqué par les gays séronégatifs et que cette pratique soit en augmentation.
  • le positionnement stratégique, qui est généralement définit par le choix d’avoir des pratiques sexuelles les moins susceptibles d’entraîner la transmission du VIH : les hommes séronégatifs ayant le rôle insertif et les homme séropositifs ayant le rôle réceptif.
  • la négociation autour de la charge virale, lorsqu’un homme séronégatif est plus susceptible de se prêter à un RANP quand il estime que la charge virale de son partenaire séropositif est basse ou indétectable.

Pourtant, plus d’un tiers des hommes homosexuels, de cette étude, vivant avec une primo-infection à VIH ont ainsi déclaré que leur séroconversion a eu lieu après un événement à haut risque au cours duquel ils avaient eu un RANP, dans le contexte d’une stratégie de réduction du risque de transmission du VIH. Ces hommes, qui ont utilisé une stratégie de réduction des risques, étaient peu susceptibles d’employer une autre méthode. De plus, les hommes qui croyaient que leur partenaire était séronégatif (95%) ont presque toujours déclaré être passifs, de même que les hommes qui croyaient que leur partenaire sexuel séropositif avait une charge virale indétectable.

Ainsi, cette étude démontre que le fait d’avoir des RANP dans le contexte de stratégies de réduction des risques sexuels est impliqué dans une proportion importante des infections à VIH chez les hommes homosexuels. La connaissance du statut sérologique du partenaire a été mis en évidence comme étant un facteur central dans la décision d’avoir des RANP. Dans cette étude, environ 1 séroconverti sur 5 a pensé, à tort, que son partenaire était séronégatif.
Ces résultats démontrent que, bien souvent, les stratégies de réduction des risques sexuels ne semblent pas prévenir l’infection par le VIH. Ainsi, ces méthodes ne semblent pas être une bonne alternative à l’utilisation systématique du préservatif.

Questionnement scientifique et hypothèses avancées

Les auteurs de cette étude ont cherché à déterminer quels sont les risques d’infection par le VIH quand on s’engage à avoir des RANP dans le cadre de ces stratégies de réduction des risques sexuels. Pour cela, ils examinent les comportements à risque que les hommes homosexuels récemment infectés croient être à l’origine de leur séroconversion. Les auteurs ont choisi d’étudier uniquement les comportements de réduction des risques chez les hommes qui ont déclaré qu’ils croyaient avoir été infectés lors de RANP.
De plus, cette étude décrit la proportion de cas concernés par ces différentes stratégies de réduction des risques sexuels.

 

Méthodologie

Les hommes homosexuels qui ont participé à cette étude étaient tous originaires de Sydney et de Melbourne (Australie). Ils avaient été récemment diagnostiqués avec une primo-infection à VIH entre Janvier 2003 et Septembre 2006. Tous ces hommes étaient inscrits dans 2 études de cohorte de primo-infection à VIH : les cohortes PHAEDRA (Australian Cohort) et CORE01.
Huit semaines après leur primo-infection, les participants ont été invités à remplir un questionnaire de comportements à risques associés à l’infection à VIH. Un entretien en tête-à-tête a été réalisé par une infirmière qualifiée. Il a été demandé aux participants d’identifier les cas à haut risque qui selon eux, avaient conduit à leur séroconversion. Ces hommes ont ensuite été interrogés en détails sur ce comportement sexuel à haut risque, le statut VIH et la charge virale de leur partenaire au moment de la relation sexuelle.
Les analyses statistiques ont ensuite été réalisées.

 

Résultats

Au total, 232 participants masculins ont été recrutés dans les cohortes PHAEDRA et CORE01, et 158 (68%) ont accepté de remplir le questionnaire de facteurs de risque comportementaux. La moyenne d’âge de ces participants était de 36 ans (20 à 63 ans), et la plupart d’entre eux (93%) se sont identifiés comme gays ou homosexuels. Au total, 143 hommes (91%) ont pu identifier au moins un événement à haut risque, et de multiples événements ont été rapportés par 75 hommes (52%). Des RANP ont été rapportés comme étant l’événement le plus à risque par 102 hommes (71%). L’analyse des comportements de réduction des risques a ainsi été limitée à ces 102 hommes. Parmi ces hommes, 30 pensent que la source était leur partenaire régulier et 63 croient que la source était un partenaire occasionnel. Quatre hommes ne pouvaient pas déterminer si la source était un partenaire occasionnel ou régulier, et pour 5 autres hommes, les données étaient manquantes sur le type de partenaire.

 

Le sérotriage

Dans ce groupe, 21 hommes (21%) ont déclaré qu’ils étaient certains que leur partenaire était séronégatif, 18 (18%) soupçonnaient que le partenaire était séronégatif, 17 (17%) ont déclaré qu’ils étaient certains que le partenaire était séropositif, 6 (6%) soupçonnaient que le partenaire était séropositif, et 36 (37%) ont déclaré qu’ils ne connaissaient pas le statut VIH de leur partenaire.
Sur les 21 hommes qui ont déclaré qu’ils étaient certains que leur partenaire était séronégatif, 10 ont signalé que ce partenaire était leur partenaire régulier. Leur relation était inférieure à 12 mois dans la plupart des cas (70%). De plus, 11 hommes ont déclaré que le partenaire qu’ils croyaient être séronégatif pour le VIH a été un partenaire occasionnel.

 

Le positionnement stratégique

Lors de cet événement à haut risque, 10% des hommes ont déclaré que leur comportement le plus à risque avait été un RANP actif (4 avec un partenaire régulier, 5 avec un partenaire occasionnel, et 1 avec un partenaire de sérotype inconnu). Parmi les 21 hommes qui ont cru que leur partenaire était séronégatif, 20 (95%) ont déclaré avoir eu des RANP passifs. Il en était de même pour 88% des hommes (53 sur 60) qui étaient incertains du statut VIH de leur partenaire. C’était également le cas pour 15 autres hommes sur 17 de ceux qui étaient certains que leur partenaire était séropositif (88%) et qui ont aussi déclaré avoir eu des RANP passifs.

 

Négociation autour de la charge virale

Dans ce groupe, vingt et un hommes ont déclaré que la charge virale de leur partenaire séropositif était connue (12 avec un partenaire régulier, 7 avec un partenaire occasionnel, et 2 qui ont déclaré les deux types de partenaires), et parmi eux, 9 (43%) ont déclaré que leur partenaire séropositif avait une charge virale indétectable. Ces 9 hommes ont tous déclaré avoir eu des RANP passifs (100%), comparativement aux 5 hommes (83%) qui ont déclaré que leur partenaire avait une faible charge virale et les 5 autres hommes (83%) qui ont déclaré que leur partenaire avait une charge virale élevée.

 

Résumé des transmissions de l’infection à VIH

Sur la base d’une récente rétrospective, le sérotriage était impliqué dans 21 infections à VIH, le positionnement stratégique dans 10 infections, et le recours à la charge indétectable d’un partenaire séropositif dans 9 infections. Ces 40 attributions de séroconversion suite à des stratégies de réduction des risques sexuels rapportées par 39 hommes représentent 38% des séroconversions pour lesquelles un RANP a été signalé lors de l’événement à haut risque.

 

Discussion des résultats

Le sérotriage a été souvent décrit comme un comportement que les hommes homosexuels séropositifs utilisent lors de négociation de RANP. Pour les hommes séronégatifs, le sérotriage est un comportement plus risqué, car il les expose au risque d’infection par le VIH. Il exige que les partenaires soient honnêtes quant à leur statut sérologique, et nécessite la connaissance précise et à jour de leur statut VIH. Lorsque le sérotriage est établi dans des relations régulières, cela fait partie de la méthode de sécurité négociée et le sérotriage peut alors être un moyen efficace d’éviter l’infection à VIH. Cependant, dans cette étude, il n’y a aucune donnée sur la sécurité négociée et on ne sait pas si cette méthode a été adoptée par les participants impliqués dans des relations régulières.

Dans les rencontres occasionnelles, et les nouvelles relations, le sérotriage peut être risqué parce que la connaissance du statut VIH de tout partenaire sexuel peut être fondée sur des hypothèses. D’ailleurs, dans cette étude, le fait que les hommes attribuent leur infection suite à un sérotriage dans le cadre d’une relation régulière de courte durée, soutient cette idée.

 

Dans le cas de RANP entre partenaires sérodifférents, le risque de transmission du VIH peut être réduit si le partenaire séronégatif prend le rôle insertif ou si le partenaire séropositif a une charge virale indétectable. Néanmoins, les RANP insertifs présentent toujours un risque important, et une charge virale plasmatique indétectable ne signifie pas nécessairement une absence de virus dans le liquide séminal.

Par ailleurs, l’auto-évaluation des comportements sexuels à risque chez les hommes homosexuels après séroconversion démontre une sous-estimation de la fréquence des RANP. Le fait que 29% des séroconversions aient eu lieu après des événements au cours desquels un RANP n’a pas été signalé suggère que cette sous-déclaration a été présente dans cette étude.
Cependant, cette auto-évaluation ne se limite pas à des comportements, mais s’intéresse aux causes et/ou aux raisons de cette séroconversion. Il est possible que dans certains cas, ces hommes aient mal évalué l’évènement qui a conduit à leur séroconversion. Les données présentées ici concernent les comportements sexuels plutôt que l’intention et ainsi, on ne peut pas déterminer si ces comportements ont été pratiqués dans le but de minimiser le risque de contracter le VIH.
Par ailleurs, les erreurs de rappel ont été minimisées en interrogeant ces hommes dans les 8 semaines après leur diagnostic. De plus, les cohortes PHAEDRA et CORE01 comptaient environ 70% d’hommes homosexuels diagnostiqués en primo-infection à VIH dans d’importantes cliniques de Sydney et Melbourne. Ainsi, il est possible que les caractéristiques des non-répondants puissent être différentes de celles décrites.

Source :
Fengyi Jin, Garrett P. Prestage, Jeanne Ellard, MPhil, Susan C. Kippax, John M. Kaldor, and Andrew E. Grulich. « How Homosexual Men Believe They Became Infected With HIV. The Role of Risk-Reduction Behaviors. » J Acquir Immune Defic Syndr Volume 46, Number 2, October 1, 2007