Les inégalités d’accès à la prophylaxie pré-exposition (PrEP) perdurent en France et les infections à VIH persistent. L’étude CABOPrEP explore, dans ce contexte, une alternative prometteuse. Le cabotégravir à longue durée d’action (CAB-LA), administré tous les deux mois, pourrait mieux répondre aux besoins des personnes qui rencontrent des difficultés dans l’adhésion à la PrEP orale. La date de commercialisation d’APRETUDE® étant incertaine, il est essentiel d’en savoir davantage sur son utilisation chez les prepeurs et de mieux comprendre les attentes.
Une nouvelle étape dans la prévention : pourquoi CABOPrEP ?
Depuis 2016, la PrEP orale est disponible en France. En permettant aux personnes séronégatives, exposées au risque d’infection, de prendre un traitement préventif, cette stratégie a constitué un tournant dans la lutte contre l’épidémie. Pourtant, cette approche ne bénéficie visiblement pas à toutes et tous. Les données disponibles d’Epi-Phare montrent que des inégalités importantes contraignent le déploiement de la PrEP. En France, la majorité des usagers de la PrEP sont des hommes gays, cisgenres, vivant en Île-de-France, souvent blancs et d’un niveau socio-économique élevé.
Face à ce constat, l’émergence du cabotégravir injectable à longue durée d’action (cabotégravir LA ou CAB-LA), administré tous les deux mois par voie intramusculaire dans le muscle fessier, suscite un intérêt croissant. Il pourrait répondre à certains freins liés à l’usage de la PrEP orale (oubli des prises, stigmatisation liée à la possession de comprimés, lassitude, précarité rendant difficile l’adhésion au traitement ou encore inconfort médical). L’étude CABOPrEP, lancée début 2025, s’inscrit dans ce contexte : son ambition est d’évaluer les conditions concrètes d’un accès à cette nouvelle option de prévention en France. Elle permettrait de montrer les avantages qu’elle apporte (ou pas) en s’adressant uniquement aux personnes déjà sous PrEP orale depuis au moins six mois.
Objectifs et méthodologie : documenter l’implémentation
CABOPrEP est un essai clinique contrôlé randomisé de phase 3, mené en France. Contrairement aux essais HPTN 083 et 084 qui ont établi l’efficacité pharmacologique du cabotégravir à longue durée d’action (CAB‑LA), CABOPrEP se concentre sur une autre question cruciale : comment intégrer de manière équitable, éthique et acceptable cette nouvelle modalité de PrEP auprès des hommes ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes (HSH), dans un système de prévention encore très centré sur le schéma oral (TDF/FTC) et ses limites d’accessibilité ?
L’étude adopte un design pragmatique, ouvert, multicentrique, en groupes parallèles. En clair, cela veut dire qu’environ 322 participants, tous utilisateurs réguliers de PrEP orale depuis au moins six mois, seront recrutés sur huit sites en Île-de-France. Ils seront répartis par tirage au sort pour poursuivre l’utilisation de la PrEP orale à base de TDF/FTC (quotidienne ou à la demande) dans un bras témoin ou passer à une PrEP injectable à base de CAB‑LA dans un bras intervention. Les participants du bras intervention prendront d’abord un comprimé oral de 30 mg de cabotégravir par jour pendant une période de quatre semaines. À la suite de cette phase initiale, ils recevront 13 injections intramusculaires de 600 mg (3 ml) de cabotégravir injectable à longue durée d’action (CAB-LA) administrées tous les deux mois après une dose de charge initiale administrée un mois après le dernier comprimé oral.
L’objectif principal de l’essai est de comparer, à 12 et 24 mois, la persistance dans l’usage de la PrEP entre les deux bras. Parmi les objectifs secondaires figurent l’évaluation de la couverture des rapports sexuels non protégés par un préservatif, l’évolution des comportements sexuels, la sécurité des traitements et l’incidence du VIH.
Le protocole de l’étude comprend également trois sous-études complémentaires :
- Analyse socio-comportementale : des groupes de discussion seront menés avec les participants pour explorer leurs perceptions de ce premier format de PrEP injectable, leurs motivations, leur adhésion, la transformation de leur rapport au risque, ainsi que l’impact de ce nouvel outil sur leur satisfaction sexuelle. L’étude inclura aussi les perceptions et pratiques des professionnel·les de santé impliqué·es dans la mise en œuvre du projet.
- Permissivité rectale au VIH‑1 : cette étude biomédicale évaluera la capacité du CAB‑LA à prévenir l’infection VIH dans un modèle de tissu rectal ex vivo, à différents temps après initiation orale puis injectable.
- Analyse médico-économique : elle visera à établir des références en matière de coût-efficacité pour une PrEP à base de CAB‑LA dans le contexte français.
Concrètement, les participants feront l’objet d’un suivi médical, social et comportemental sur deux ans, incluant entretiens, questionnaires et collecte de données cliniques. L’objectif est double : mieux comprendre les conditions nécessaires à un déploiement élargi de cette innovation et documenter son acceptabilité et ses usages en vie réelle, au-delà des seuls critères d’efficacité biomédicale.
À qui s’adresse l’étude CABOPrEP ?
Elle s’adresse à des hommes cisgenres ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes, déjà sous PrEP orale depuis au moins six mois, âgés de plus de 18 ans.
Les critères d’éligibilité incluent notamment un test VIH négatif, une absence d’infection active à l’hépatite B et un accord pour les suivis réguliers. L’inclusion repose aussi sur une évaluation médicale et sociale, afin de s’assurer que les participants comprennent bien les modalités de l’étude et les implications de l’injection bimestrielle.
L’étude vise également à travailler avec des médiateurs communautaires pour accompagner les participants et s’assurer que les enjeux de stigmatisation, d’accès aux soins ou de consentement éclairé soient pris en compte.
Qui pilote CABOPrEP ?
CABOPrEP est financée et portée par l’ANRS-MIE. L’investigateur de l’étude est le Pr Jean-Michel Molina (hôpital Saint-Louis, AP-HP et Université Paris Cité) qui a une longue expérience dans les études cliniques sur la PrEP, notamment ANRS-Ipergay, et le Dr Geoffroy Liegeon en est le coordinateur.
Le volet communautaire est co-piloté par l’association AIDES, comme dans les précédentes études sur la PrEP. Cet accompagnement permettra encore une fois de répondre aux besoins et aux questions qui vont se poser tout au long de l’étude chez les participants.
Le médicament utilisé dans le cadre de l’étude – le cabotégravir LA – est fourni gratuitement par le laboratoire ViiV Healthcare, détenteur des droits commerciaux. Plusieurs institutions, dont Santé publique France, des agences régionales de santé (ARS), ainsi que le ministère de la Santé, soutiennent l’étude sur le plan logistique et stratégique, même si la mise à disposition du produit pour l’étude a été très difficile.
Un démarrage dans un contexte d’urgence et d’attentes
Le lancement de CABOPrEP intervient alors que l’Agence européenne du médicament (EMA) a validé l’autorisation de mise sur le marché du cabotégravir pour la prévention du VIH dès 2023. Pourtant, en France, ce traitement reste encore largement inaccessible en dehors d’un cadre expérimental. Les associations de lutte contre le VIH dénoncent depuis des mois le retard pris par les autorités sanitaires pour mettre ce nouvel outil à disposition des personnes exposées.
Ce retard est d’autant plus problématique que les inégalités d’accès à la PrEP orale persistent et que l’incidence du VIH reste préoccupante dans certains territoires et chez certaines populations. Le rapport 2023 de Santé publique France montrait par exemple une recrudescence des diagnostics de VIH en Outre-mer, notamment en Guyane et à Mayotte. La mise à disposition rapide d’outils mieux adaptés aux réalités de terrain est une urgence de santé publique !
CABOPrEP se veut aussi une réponse à la demande de solutions concrètes pour les personnes qui, pour des raisons pratiques, sociales ou symboliques, ne parviennent pas à utiliser efficacement la PrEP orale. Il s’agit de démontrer que cette PrEP injectable tous les deux mois peut être un levier d’équité en santé, à condition d’être déployée selon des modalités adaptées.
Premiers résultats attendus pour 2027
Le recrutement des participants a débuté au premier semestre 2025. L’étude se déroulera sur trois ans, avec un suivi longitudinal des participants. Les premiers résultats intermédiaires pourraient être disponibles dès juin 2027, notamment sur l’acceptabilité du traitement, l’efficacité perçue, la tolérance et les motifs d’arrêt éventuels. Les résultats finaux sont attendus à l’horizon 2028.
Au-delà des données scientifiques, l’enjeu de CABOPrEP est aussi politique : il s’agit de documenter, avec rigueur, une mise en œuvre qui soit à la fois efficace, éthique et équitable. À terme, les résultats de l’étude pourraient peser dans la balance pour une intégration pérenne de cette PrEP injectable dans l’offre de prévention en France, en dehors d’un cadre expérimental, notamment dans les CeGIDD ou les centres de santé communautaires.
Une opportunité à saisir pour élargir la réponse à l’épidémie
En mettant l’accent sur l’adhésion et l’observance à la PrEP injectable, CABOPrEP constitue une opportunité stratégique pour repenser l’accès à la prévention du VIH en France. Si elle tient ses promesses, l’étude pourrait permettre d’élargir considérablement la palette des outils disponibles, en intégrant des approches plus adaptées aux réalités sociales, territoriales et individuelles.
L’arrivée du CAB-LA représenterait une avancée scientifique majeure, mais c’est surtout un levier potentiel pour toucher des publics encore largement exclus des stratégies actuelles de prévention. Adolescents et jeunes adultes, femmes, personnes migrantes, usager·es éloigné·es du système de santé, personnes emprisonnées : autant de groupes pour qui la PrEP orale ne répond pas toujours aux besoins, en raison de contraintes d’usage, de stigmatisation ou d’un manque d’ancrage dans les parcours de soins. En offrant une alternative plus discrète, plus simple à suivre pour certaines personnes et potentiellement plus acceptable sur le long terme, la PrEP injectable pourrait permettre une véritable démocratisation de la prévention biomédicale.
La composition du recrutement dans CABOPrEP illustre toutefois certaines limites persistantes. On notera notamment que les femmes cis et trans ne sont pas incluses dans l’étude, ce qui est bien dommage mais s’explique, en partie, par le fait qu’elles ne représentent actuellement qu’environ 5 % des usager·es de la PrEP orale en France. En l’état, cela ne permet pas de constituer un effectif suffisant pour que l’étude produise des résultats statistiquement significatifs. Cette limitation à un recrutement exclusivement composé d’HSH répond donc à une contrainte méthodologique : pour pouvoir évaluer rigoureusement l’efficacité et la tolérance du cabotégravir en conditions réelles, il est nécessaire de disposer d’un nombre de participant·es suffisant dans chaque groupe analysé. C’est un principe bien connu des essais cliniques ou des études de cohorte.
On retrouve ici une situation comparable à celle de l’essai IPERGAY, qui avait recruté des HSH dits « à haut risque », non pas pour exclure d’autres publics mais pour pouvoir obtenir des résultats statistiquement robustes sur une population cible clairement définie. Depuis, la situation a évolué : d’autres groupes dits « à risque » ont été mieux identifiés, mais les HSH restent, en France, les principaux utilisateurs de la PrEP.
Cela ne doit cependant pas faire oublier les limites de cette approche et les inégalités d’accès qui en découlent. Il est légitime de s’inquiéter du retard persistant dans le développement de la PrEP chez les femmes et de la nécessité de produire des données spécifiques à leurs réalités. Une diversification des profils inclus dans les études futures, en articulation avec une meilleure diffusion de la PrEP orale, sera indispensable pour garantir une offre de prévention adaptée à toutes et à tous.
Cette opportunité ne se concrétisera que si la France s’en donne les moyens. Car la PrEP injectable ne se déploiera pas toute seule. Elle suppose un effort logistique important : davantage de professionnel·les formé·es, une organisation adaptée des parcours de soins, une fréquence de suivi plus soutenue, une mobilisation accrue des lieux de santé sexuelle et des acteurs de terrain. Autant de conditions qui nécessitent de repenser en profondeur le modèle actuel de délivrance de la PrEP et d’anticiper les obstacles structurels qui pourraient freiner l’implémentation à grande échelle.
Il ne suffit donc pas que le traitement soit efficace : encore faut-il que son accès soit possible, équitable, durable. Cela pose la question d’un véritable choix politique. Le déploiement d’une stratégie ambitieuse autour de la PrEP injectable implique un engagement clair des pouvoirs publics : pour financer les structures de santé, pour renforcer les équipes médicales et paramédicales, pour soutenir les innovations organisationnelles, y compris en dehors du cadre hospitalier et pour reconnaître le rôle incontournable des acteurs communautaires dans l’accompagnement des publics.
À terme, l’impact de CABOPrEP ne dépendra pas seulement des résultats scientifiques de l’étude, mais de notre capacité collective à en tirer toutes les leçons. Cela implique d’écouter les participants, de documenter les freins rencontrés, d’adapter les modalités de délivrance aux réalités du terrain et d’intégrer cette nouvelle offre dans une politique de santé sexuelle réellement inclusive et structurée autour de la réduction des inégalités. L’enjeu est clair : faire de cette innovation une avancée concrète dans la lutte contre le VIH et non un mirage réservé à quelques-uns.
Source
Impact of Long-acting Injectable Cabotegravir for HIV Pre-exposure Prophylaxis Persistence and Coverage in Men Who Have Sex With Men in France : a Randomized Controlled Clinical Trial (CABOPrEP). NCT06273943 https://clinicaltrials.gov/study/NCT06273943