ARTICLES / ÉPIDÉMIOLOGIE

Trans et VIH : données récentes, enjeux spécifiques – deuxième partie

par | 16.05.2025

[MWB_PDF_GEN]

Dans le prolongement des éléments publiés sur React’Up en 2016, cette analyse en 3 parties propose de faire le point sur les données disponibles aujourd’hui pour comprendre les enjeux de l’épidémie parmi les personnes trans. Au cours des dernières années, la question trans a fait l’objet d’une attention médiatique, politique et scientifique accrue. De nouveaux résultats sont à présent disponibles et permettent de mieux comprendre les ressorts, en particulier sociaux, de l’épidémie chez les personnes trans. Ils rendent plus saillant encore le besoin d’une lutte résolue contre les violences et discriminations transphobes, qu’elles s’exercent dans la vie quotidienne, sur le marché du travail, au cours du parcours de soin, dans la recherche ou de la part de l’administration. Ils suscitent également l’inquiétude dans un contexte où la transphobie devient un enjeu idéologique dans une partie du champ politique, comme en témoignent les attaques récentes contre les droits des personnes trans aux États-Unis et au Royaume-Uni, mais aussi les manœuvres autour des parcours des mineur•e•s trans en France.

L’accès aux soins pour les personnes trans séropositives reste difficile

A toutes les étapes de leurs parcours de soins, les personnes trans séropositives font face à davantage d’obstacles que les patient-e-s cisgenres

Lorsqu’elles sont séropositives, les personnes trans font face à des difficultés accrues dans leur accès aux soins. Ces difficultés les confrontent à des pertes de chance thérapeutiques. Des données californiennes montrent ainsi que les femmes trans séropositives adhèrent moins facilement à leurs traitements médicamenteux en général que les personnes cisgenres séropositives [1]. Des études conduites à New York et Atlanta confirment et précisent ce résultat : si elles semblent être aussi susceptibles d’être suivies médicalement, les femmes trans séropositives sont moins susceptibles d’être traitées, moins susceptibles d’adhérer à leur traitement antirétroviral, et moins susceptibles de parvenir à une charge virale indétectable que les patient-e-s cisgenres séropositif-ve-s [2, 3]. Ces résultats ont été confirmés par d’autres études, qui soulignent aussi que les écarts entre les femmes trans et les patient-e-s cisgenres est particulièrement prononcé parmi les personnes racisées [4].

Ces difficultés sont encore renforcées lorsqu’elles rencontrent des freins dans leurs parcours de transition

Les données disponibles dans le cas américain mettent en évidence le rôle du parcours de transition dans les difficultés de prise en charge des femmes trans séropositives. A San Francisco, les femmes trans qui ne prennent pas de traitement hormonal sont moins nombreuses à prendre un traitement antirétroviral [5]. De la même façon, à Baltimore et Washington, les femmes trans noires et latinas connaissent davantage d’interruptions de traitement antirétroviral lorsqu’elles ne prennent pas de traitement hormonal, ou font face à des refus de prise en charge pour des chirurgies liées à leurs transitions [6]. Pour autant, d’autres données californiennes soulignent qu’une part élevée de femmes trans séropositives peuvent prendre leurs traitements antirétroviraux ou bien leur traitement hormonal différemment de ce qui leur est prescrit, en particulier parce qu’elles craignent des interactions entre hormones et antirétroviraux, que celles-ci soient mal explorées par la littérature ou pas assez prises au sérieux par le personnel soignant [7].

Violences et discriminations transphobes entretiennent la dynamique de l’épidémie

Les personnes trans sont particulièrement exposées aux violences dans le cadre familial et dans l’espace public

Les violences et discriminations visant les personnes trans sont de mieux en mieux étudiées et quantifiées, et permettent d’expliquer leur vulnérabilité particulière face au VIH. L’exposition aux violences et discriminations débute souvent avant l’âge adulte, au sein de la famille. Ainsi, en France, plus de 60% des personnes trans ayant répondu à l’enquête Virage LGBT menée par l’Ined en 2016 rapportaient avoir subi des violences dans le cadre familial, et plus de 20% d’entre elles déclaraient avoir quitté le domicile parental en raison d’un conflit [8]. Ces violences sont également fréquentes dans l’espace public : dans la même enquête, plus de 80% des personnes trans rapportaient avoir été victimes de violences dans l’espace public. Plus de la moitié d’entre elles (46%) déclaraient avoir été victimes de violences sexuelles dans ce cadre.

Elles sont également exposées à des violences et des discriminations sur le marché du travail ou en ligne

Des données canadiennes récentes permettent de dresser un tableau plus large de la situation, au-delà du seul cas des violences dans l’espace public. Ces violences se produisent non seulement dans l’espace public, mais aussi en ligne : en 2018, 42% des personnes trans vivant au Canada ont été victimes de comportements non-désirés ou de violences en ligne [9]. Les faits de harcèlement et de violence dans le monde professionnel sont également très fréquents : près de 70% des personnes trans vivant au Canada étaient victimes de comportements inappropriés ou de violences dans le cadre de leur travail. A cela s’ajoutent encore des difficultés accrues sur le marché du travail : des données américaines récentes suggèrent que le parcours de transition conduit à une réduction d’environ 8% du taux d’emploi pour les personnes trans, et à une perte de revenus du travail qui s’élève à environ 15% [10].

Les violences et discriminations transphobes causent des contaminations

Les discriminations transphobes limitent l’accès à l’éducation et au marché du travail, et conduisent de nombreuses personnes trans dans des situations de forte exposition au VIH. En particulier, le stigmate et les violences rendent difficile la participation au marché du travail formel pour de nombreuses personnes trans, ce qui peut les conduire à exercer le travail du sexe. Ainsi, les données collectées aux Etats-Unis entre 2006 et 2017 suggèrent que plus d’une femme trans sur trois, et plus d’un homme trans sur dix exerce le travail du sexe à un moment de sa vie [11]. Cela les expose encore davantage à l’épidémie. Une étude récente conduite à Sao Paulo estime que l’exercice du travail du sexe multiplie par 5 le risque de contracter le VIH pour les femmes trans [12]

Les violences et discriminations transphobes constituent des entraves importantes dans le parcours de soins

Ces violences et discriminations contribuent encore à rendre les personnes trans plus vulnérables face à l’épidémie. Elles participent d’abord à les éloigner des dispositifs de prévention, de dépistage et de soin : des données récoltées en France suggèrent que plus de la moitié des personnes trans ont déjà annulé un rendez-vous avec leur généraliste, le plus souvent par appréhension d’éventuelles remarques transphobes des praticien-ne-s |13]. Qui plus est, moins d’un tiers des répondants rapportaient n’avoir pas rencontré de problème avec leur médecin au cours de leur dernière consultation.

Ces effets des discriminations sur les parcours de soins sont confirmés dans d’autres études : dans une enquête conduite en Argentine en 2013, plus de 40% des femmes trans évitaient d’avoir recours aux services de santé du fait de leur transidentité [14]. Cela était d’autant plus

fréquent qu’elles avaient été victimes de violences policières, ou de discriminations de la part de professionnels de santé ou d’autres patients, ou qu’elles intégraient elles-mêmes des représentations négatives de la transidentité. A San Francisco, les femmes trans séropositives rapportant subir des discriminations transphobes et racistes sont moins susceptibles que les autres de ne pas avoir de suivi médical pour le VIH [15]. Une étude brésilienne montre également que les femmes trans qui ont survécu à des épisodes de violence physique et sexuelle en raison de leur transidentité rencontrent davantage de difficultés dans leur parcours de soins, et sont moins susceptibles de parvenir à une charge virale indétectable [16].

Sources

[1] Baguso, G. N., Gay, C. L., et Lee, K. A., 2016. “Medication adherence among transgender women living with HIV.” AIDS care, 28(8):976–981.

[2] Wiewel, E. W. 2016. “HIV Diagnoses and Care Among Transgender Persons and Comparison With Men Who Have Sex With Men: New York City, 2006-2011.” American journal of public health, 106(3):497–502.

[3] Kalichman, S. C. et al., 2017. “Transgender women and HIV-related health disparities: falling off the HIV treatment cascade.” Sexual health, 14(5):469–476.

[4] Klein, P. W. et al., 2020. “HIV-related outcome disparities between transgender women living with HIV and cisgender people living with HIV served by the Health Resources and Services Administration’s Ryan White HIV/AIDS Program: A retrospective study.” PLoS medicine, 17(5):1003125.

[5] Baguso, G. N. et al., 2019. “Successes and final challenges along the HIV care continuum with transwomen in San Francisco.” Journal of the International AIDS Society, 22(4):25270.

[6] Rosen, J. G. et al. 2019. “Antiretroviral Treatment Interruptions Among Black and Latina Transgender Women Living with HIV: Characterizing Co-occurring, Multilevel Factors Using the Gender Affirmation Framework.” AIDS and behavior, 23(9):2588–2599.

[7] Braun, H. M. et al., 2017. “Transgender Women Living with HIV Frequently Take Antiretroviral Therapy and/or Feminizing Hormone Therapy Differently Than Prescribed Due to Drug-Drug Interaction Concerns.” LGBT health, 4(5):371–375.

[8] Trachman, M. et Lejbowicz, T., 2020. “Lesbiennes, gays, bisexuel·le·s et trans (LGBT) : une catégorie hétérogène, des violences spécifiques.” in E. Brown et al. (éds.), Violences et rapports de genre (1‑). Ined Éditions.

[9] Jaffray, B., 2020. “Les expériences de victimisation avec violence et de comportements sexuels non désirés vécues par les personnes gaies, lesbiennes, bisexuelles et d’une autre minorité sexuelle, et les personnes transgenres au Canada, 2018.” Juristat, Statistique Canada.

[10] Carpenter, C.S. et al., 2024. « Transgender Earnings Gaps in the United States: Evidence from Administrative Data, » NBER Working Papers 32691, National Bureau of Economic Research, Inc.

[11] Becasen, J. S. et al., 2019. “Estimating the Prevalence of HIV and Sexual Behaviors Among the US Transgender Population: A Systematic Review and Meta-Analysis, 2006-2017.” American journal of public health, 109(1):1–8.

[12] de Sousa Mascena Veras, M. A. et al. 2021. “Brief Report: Young Age and Sex Work Are Associated With HIV Seroconversion Among Transgender Women in São Paulo, Brazil.” Journal of acquired immune deficiency syndromes (1999), 88(1):1–4.

[13] Garnier, M., Ollivier, S., Flori, M. et Maynié-François, C., 2021. “Transgender people’s reasons for primary care visits: a cross-sectional study in France.” BMJ open, 11(6):036895.

[14] Socías, M. E.  et al., 2014. “Factors associated with healthcare avoidance among transgender women in Argentina.” International journal for equity in health, 13(1):81.

[15] Baguso, G. N. et al. 2019. “Successes and final challenges along the HIV care continuum with transwomen in San Francisco.” Journal of the International AIDS Society, 22(4):25270.

[16] de Sousa Mascena Veras, M. A. et al. 2024. “Correlation between gender-based violence and poor treatment outcomes among transgender women living with HIV in Brazil.” BMC public health, 24(1):791.

Pour revenir aux autres parties