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Le résultat de l’étude PARTNER

par | 31.12.2016

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Cela fait maintenant presque dix ans que l’utilisation du traitement antirétroviral chez les personnes séropositives comme moyen de réduction de la transmission du VIH a démontré son efficacité. Pour autant, certaines preuves et des mesures supplémentaires restent nécessaires, notamment chez les couples d’hommes. L’étude PARTNER vient préciser ces zones de flou. C’est le résultat final de cette étude que nous présentons ici.

Depuis plusieurs années, les preuves scientifiques s ‘accumulent pour démontrer que le risque de transmission du VIH est considérablement réduit sous l’action des antirétroviraux, en particulier lorsque la charge virale devient indétectable.

La mise sous traitement des personnes nouvellement diagnostiquées le plus précocement possible présente un double intérêt dorénavant clairement établi. Du point de vue de l’individu, en bloquant l’évolution de la maladie, le traitement améliore la qualité et l’espérance de vie. Au niveau collectif en limitant la transmission du virus, le traitement participe à enrayer la dynamique de l’épidémie, encore très active dans certains groupes de population, notamment les hommes homosexuels.

Si tout le monde s’accorde sur une limitation de la transmission du VIH liée à un traitement efficace des personnes séropositives, les recommandations de santé publique les discours du corps médical, et plus globalement les positions de l’ensemble des acteurs impliqués auprès des personnes concernées divergent sensiblement.

En effet, certaines interrogations subsistent autour de cette stratégie nommée TasP (Treatment as Prevention). En particulier : Existe-t-il à un risque résiduel de transmission sous traitement et de quelle ampleur ? Dans quelle mesure d’autres infections sexuelles (IST), des fluctuations de charge virale, ou des pratiques sexuelles différentes, impactent-elles l’effet protecteur ? Le port du préservatif doit-il toujours être recommandé en plus du TasP pour éviter la transmission du VIH ?

L’étude PARTNER est importante car elle permet d’évaluer l’ampleur de l’impact du traitement sur la transmission en se basant sur le plus grand nombre d’observations jamais réalisées et en contexte européen.

Jusqu’à présent l’effet du TasP avait été étudié au sein de couples de statut différent qui utilisaient régulièrement le préservatif en plus de prendre le traitement (près de 90% des couples dans l’essai HPTN052). Or PARTNER s’est précisément attachée à mesurer la probabilité de transmission du VIH lorsque les couples se protégeaient uniquement par le TasP.

En 2014, des données préliminaires encourageantes avaient montré l’absence de transmission du VIH dans des couples Homme/Femme. Cette nouvelle publication vient valider que le risque de transmission devient statistiquement improbable, quel que soit le type de couple et les pratiques sexuelles, dès lors que la charge virale est efficacement contrôlée.

COMMENT ETUDIER LA TRANSMISSION SOUS TRAITEMENT ?

Pour étudier la probabilité de transmission du VIH lorsque la charge virale est indétectable, PARTNER a recruté des couples sérodifférents (l’un est VIH+, l’autre VIH-) qui déclaraient avoir régulièrement des rapports sexuels sans préservatif, et dont le partenaire positif, sous l’action d’antirétroviraux régulièrement pris, présentait une charge virale indétectable (<200copies/mL de sang).

Entre 2010 et 2014, 70 sites hospitaliers issus de 14 pays européens ont collecté tous les 4 à 6 mois des données sur l’activité sexuelle des couples. Ces données, ont été classées en séquences de temps selon le type de rapport et les protections prises. Les périodes où le couple utilisait d’autres protections que le TasP (préservatif, PrEP, PEP/TPE) ont été exclues de l’analyse.

Une fois les séquences similaires compilées, PARTNER peut présenter des données en années de suivi cumulées par couple classées selon la voie d’exposition au virus (vaginale/anale), le rôle sexuel (pénétrant/pénétré) et l’orientation sexuelle (couples homme-homme/homme-femme).

Ces données déclaratives ont été complétées par des mesures biologiques régulières : dépistage VIH du partenaire négatif ; mesure de la charge virale VIH du partenaire positif ; et en cas d’infection nouvelle, analyse génétique des souches virales pour valider le lien dans la transmission au sein du couple.

Enfin, une analyse statistique (modèle dit de ‘Poisson’) a permis d’établir dans quel intervalle se situe la réalité du taux de transmission du VIH sous TasP.

888 COUPLES, 1238 ANNÉES DE SUIVI & 55.000 ACTES SEXUELS ANALYSÉS

PARTNER caracteristiques couples suivis

Près de 900 couples ont été suivis pendant un an et demi en moyenne. 1/3 de couples d’hommes, 1/3 de couples Homme/Femme dont l’homme est séropositif, et un tiers de couples Homme/Femme où la femme est séropositive. Chaque type de couple présentait un temps d’observation conséquent d’environ 400 années de sexualité UNIQUEMENT protégées par le TasP.

Précisons que les partenaires séropositifs prenaient un traitement depuis plusieurs années (de 4 à 10 ans) et que l’âge médian des partenaires, tous statuts confondus, est situé entre 40 et 45 ans. Remarquons enfin que les couples d’hommes déclaraient une sexualité hors-couple plus importante (33% VS 4% des couples H/F) et des épisodes d’IST plus fréquents (17% VS 6% des couples H/F). Egalement, les partenaires négatifs déclaraient un nombre de rapports sans protection un peu plus important que leurs partenaires séropositifs.

AUCUNE TRANSMISSION AU SEIN DES COUPLES

PARTNER zero transmission couples
  • LE TASP EST UN OUTIL TRES PUISSANT DE PRÉVENTION

C’est bien la charge virale indétectable qui explique l’absence de transmission du VIH, et ce, quel que soit les types de couples et leurs pratiques sexuelles.

Sur les 55.000 actes sexuels recensés lors des 1200 années d’observation, le traitement antiviral, s’il est efficace, est une condition suffisante pour empêcher la transmission du VIH.

  • LE TASP NE PROTÈGE PAS D’UNE INFECTION À L’EXTÉRIEUR

Cependant, si le traitement empêche la transmission, le partenaire séronégatif reste sensible à l’infection avec d’autres personnes : 11 infections ont eu lieu hors des couples dont 10 concernent des hommes gays. Si cette importante proportion d’infection chez les hommes gay coïncide avec un plus grand nombre de rapports déclarés hors-couple (33% VS 4%), elle indique aussi que la dynamique de l’épidémie chez les gays expose à un risque d’infection VIH très élevé.

  • IST, VARIATIONS DE CHARGE VIRALE, QUEL IMPACT SUR LE TASP ?

L’absence d’Infections Sexuellement Transmissibles est systématiquement préconisée comme une condition nécessaire à l’efficacité du TasP, en particulier chez le partenaire positif car les IST pourraient favoriser des remontées de la charge virale. De plus, et indépendamment des IST, l’éventualité de rebonds de charge virale ainsi que la possibilité que les fluides sexuels aient une charge virale plus importante que celle mesurée dans le sang suscitent des interrogations : Ces phénomènes peuvent-ils conduire à transmettre le VIH si le traitement est efficace ?

Malgré l’absence d’infection VIH dans PARTNER, les chercheurs ne dissertent pas sur l’impact des IST et le TasP. Bien sûr que les IST ont été traitées rapidement, mais ces épisodes assez nombreux dans le cadre d’observations conséquentes, laissent penser que si ces phénomènes (IST, rebonds, charge virale non-corrélée) augmentaient fortement le risque de transmission, une ou plusieurs infections auraient vraisemblablement été observées malgré le TasP.

Zéro transmission dans Partner, et ailleurs ?

Constater qu’aucune transmission ne s’est produite après plus de 1200 années d’étude est-il suffisant pour affirmer que le risque de transmission n’existe plus dès lors que le traitement est efficace ? Répondre à cette question essentielle n’est pas si simple.

  • Le risque zéro existe-t-il ?

D’un point de vue conceptuel, le risque zéro existe bel et bien. Par exemple, respirer l’air d’un lieu où se trouve une personne porteuse du VIH ne présente aucun risque d’infection. Mais en suivant une approche scientifique, la démonstration d’un risque zéro, est rendue impossible.

Car scientifiquement parlant, malgré l’absence d’infections, rien ne permet d’exclure l’hypothèse que ce ne soit qu’un effet du hasard des observations réalisées.

  • L’absence de transmission ne veut pas dire qu’elle ne peut pas survenir !

Sous TasP, le risque de transmission, si il existe, est assurément très faible. Or plus un risque est faible, plus il est difficile de le mesurer précisément. Soyons clairs, il est impossible d’affirmer qu’aucune infection ne puisse survenir dans ces conditions. De la même manière, puisqu’aucune infection n’a été observée, rien ne prouve que ce risque existe bel et bien. Comment quantifier le risque dès lors ?

  • Comment mesurer la certitude ?

PARTNER confirme que sous TasP, si le risque de transmission existe, il est assurément proche de zéro.

Or plus un risque est faible, plus il est difficile de le mesurer avec précision. La démarche scientifique consiste alors à multiplier le nombre d’observations, ce qui va augmenter la certitude que le résultat observé est proche de la réalité.

Après modélisation statistique, la certitude d’un résultat est représentée par l’intervalle de confiance, c’est à dire la plage de valeurs où se trouve le résultat réel. Et la valeur la plus élevée de l’intervalle, que l’on appelle la borne supérieure, représente le maximum envisageable pour le résultat réel. Après ces explications théoriques analysons les résultats de PARTNER.

  • Sous TasP, la probabilité de transmission se situe…

PARTNER TasP risque transmission fig1

La 1ère ligne de la figure 1 montre que d’une manière globale, la probabilité de transmission avec un traitement efficace est située entre 0 et 0,3% pour 100 couples/année. Ce résultat est basé sur l’ensemble des données de l’étude : 1238 années d’observation collectées auprès de 863 couples qui déclaraient une quarantaine de rapports protégés par le TasP chaque année (soit plus de 55.000 actes sexuels de toutes sortes).

En langage moins technique, ce résultat peut s’expliquer ainsi : « selon toute vraisemblance, la probabilité qu’une transmission du VIH ait lieu est comprise entre 0% – c’est à dire que le risque est nul – et au maximum 0,3% par an pour 100 couples qui déclareraient des pratiques sexuelles similaires à celles observées ». Concrètement, « il y a entre 99,7% et 100% de chances pour qu’aucune transmission n’arrive parmi 100 couples en an ».

  • Quel risque après 10 ans ?

Prenons l’exemple de partenaires séronégatifs qui ont pratiqué la pénétration anale réceptive avec éjaculation (5ème ligne – Figure 1). Sans être certain qu’une transmission survienne, un risque maximal annuel pour 100 couples, situé à 2,23%, ne peut être exclu. Qu’en est-il après 10 années de pratique en couple ?

L’incertitude du risque évaluée sur une année va augmenter si on se contente d’extrapoler le résultat sur un plus long terme. Sans entrer dans la complexité du calcul statistique, les chercheurs de PARTNER ont estimé que, lors de pénétrations anales réceptives avec éjaculation, la probabilité qu’un partenaire négatif soit infecté après 10 ans parmi 100 couples est comprise entre 0% et 20%.

Mais attention, cette valeur de 20% n’est pas prédictive de la réalité après 10 ans du risque de transmission. Cette fourchette haute reflète l’expression d’une incertitude, extrapolée sur 10 ans, à partir d’observations faites sur une durée plus courte.

Concrètement, après 10 ans, rien n’indique qu’une transmission survienne pour 100 couples pratiquant la pénétration anale avec éjaculation.

  • Certaines pratiques sont-elles plus risquées que d’autres sous TasP ?

Il est établi depuis longtemps que l’exposition aux fluides sexuels et la fragilité de la muqueuse anale sont deux facteurs qui augmentent le risque d’infection par le VIH. Mais est-ce le cas lorsque le traitement est efficace ?

PARTNER TasP risque transmission fig2

Les figures 2 et 3 montrent que les intervalles de confiance diffèrent en fonction des pratiques et du couple. Par exemple, la pénétration anale avec éjaculation reçue par une femme séronégative est le résultat dont l’intervalle de confiance est le plus large de l’étude (de 0% à 12,71% – Figure 2). Entre hommes pourtant et pour cette même pratique la probabilité maximale est située entre 0% et 2,7% (Figure 3). Peut-on en déduire que le niveau de risque est plus important pour une femme que pour un homme ?

Non pas forcement. L’intervalle de confiance plus large chez les femmes est directement lié à des observations moins nombreuses. Cependant la probabilité d’une transmission se trouve quelque part dans l’ensemble des valeurs comprises sur l’intervalle (de 0 à 12,71%).

Interpréter une borne supérieure élevée comme étant le reflet d’un risque plus important n’est pas correct, car ce risque peut tout autant être proche de zéro ou être nul d’après l’intervalle de confiance.

PARTNER ne montre pas que certaines pratiques sexuelles sont plus risquées que d’autres sous TasP. Ce qui semble logique puisqu’aucune infection n’a été constatée.

PARTNER TasP risque transmission fig3
  • Hors du couple, le TasP ça marche ?

Les chercheurs de PARTNER n’ont pas évoqué l’effet du TasP hors des relations de couple, pour la raison simple que ce paramètre n’a pas été étudié.

Rappelons cependant qu’un virus ne fait pas de différence entre un partenaire de couple ou celui d’un soir ; et que l’efficacité du TasP est liée au contrôle de la charge virale par un traitement efficace et correctement pris. Une fois ces conditions réunies, ce qui est démontré au sein de couples sérodifférents devient évidemment transposable aux partenaires occasionnels. Il n’est cependant pas à exclure que d’être en couple puisse avoir un impact vers un meilleur suivi du traitement en vue de protéger son partenaire.

  • Continuer les observations ? Oui mais jusqu’où ?

PARTNER représente l’étude la plus puissante réalisée sur la question de la transmission sous traitement, et l’absence d’infection constatée au sein de ces couples est un résultat majeur.

Mais les chercheurs restent très prudents. Selon eux, au sein des couples sérodifférents se protégeant uniquement par le TasP, « le risque de transmission ne peut être exclu, en particulier lors de rapport anaux et dans une perspective de risque cumulé sur plusieurs années ». « Un suivi complémentaire au long cours reste nécessaire pour réaliser des estimations plus précise du risque. »

S’il est vrai que certains paramètres méritent encore une attention particulière (les IST, l’observance quotidienne, le délai pour atteindre une charge virale stabilisée, le risque cumulé au long cours), la prudence des chercheurs doit être replacée dans une démarche scientifique laissant nécessairement de la place au doute, d’autant plus lorsqu’un phénomène est difficile à mesurer par son absence d’observation.

Continuer les observations ne doit pas faire oublier que les résultats sont clairs : avec un traitement efficace et correctement pris, rien ne montre que la transmission du VIH soit possible. Et si un risque de transmission existe, son niveau est insignifiant.

  • Quelle acceptabilité du risque ?

Il convient à présent d’interroger jusqu’où la science doit préciser le risque pour qu’il devienne socialement acceptable ? Cette question n’appartient pas aux chercheurs mais bien à l’ensemble de la société. Elle doit être abordée de manière transdisciplinaire (santé publique, soignants, juristes, association d’usagers, etc.) en considérant l’enjeu d’un message à fort impact pour les personnes concernées par le VIH.

Nous savons que la dynamique de l’épidémie de sida n’est pas liée aux personnes séropositives qui connaissent leur statut et suivent un traitement efficace.

La peur de l’infection n’a aucune rationalité à être focalisée sur les personnes qui assument leur vie avec le VIH.

Il est temps de porter collectivement un message clair, tel que celui de l’association AIDES dans sa dernière campagne révélant que : « les séropositifs sous traitement ont beaucoup de choses à nous transmettre. Mais pas le virus du sida ».

Source :
Alison J. Rodger, MD ; Valentina Cambiano, PhD ; Tina Bruun, RN ; Pietro Vernazza, MD ; Simon Collins ; Jan van Lunzen, PhD ; Giulio Maria Corbelli ; Vicente Estrada, MD ; Anna Maria Geretti, MD ; Apostolos Beloukas, PhD ; David Asboe, FRCP ; Pompeyo Viciana, MD ; Félix Gutiérrez, MD ; Bonaventura Clotet, PhD ; Christian Pradier, MD ; Jan Gerstoft, MD ; RainerWeber, MD ; Katarina Westling, MD ; GillesWandeler, MD ; JanM. Prins, PhD ; Armin Rieger, MD ; Marcel Stoeckle, MD ; TimKümmerle, PhD ; Teresa Bini, MD ; Adriana Ammassari, MD ; Richard Gilson, MD ; Ivanka Krznaric, PhD ; Matti Ristola, PhD ; Robert Zangerle, MD ;Pia Handberg, RN ; Antonio Antela, PhD ; Sris Allan, FRCP ; Andrew N. Phillips, PhD ; Jens Lundgren, MD ; for the PARTNER Study Group

Sexual Activity Without Condoms and Risk of HIV Transmission in Serodifferent Couples When the HIV-Positive Partner Is Using Suppressive Antiretroviral Therapy.

JAMA. 2016

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Faisant suite à certaines demandes de précisions sur le financement de cette étude et compte tenu de ce que la publication scientifique n’est pas en accès libre, nous avons choisi de traduire ici la note concernant cet aspect important qui fait partie de la publication :

Financement/Soutien : Ce travail a été financé par l’Institut National pour la recherche en Santé (NIHR) dans son programme de subventions pour le programme de recherche appliquée (RP-PG-0608-10142). Le centre de coordination de l’étude (CHIP) a également obtenu le soutien de la fondation danoise pour la recherche (DNRF) (subvention 126).

Rôle du financeur/sponsor : Le financeur/sponsor n’a eu aucun rôle dans la conception et la conduite de l’étude, la collecte, la gestion, l’analyse ou l’interprétation des données, la relecture ou l’approbation du manuscrit ou la décision de soumettre le manuscrit pour sa publication.