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Pourquoi le contrôle du VIH chez les gays (HSH) diverge depuis 2006 entre Londres et San Francisco (SF) ?

par | 07.11.2014

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La comparaison des données et des réponses à l’infection à VIH entre deux villes très connues pour leur attrait dans le monde gay présentée par Colin S. Brown à la conférence de Melbourne dans la session « gays and other men who have sex with men » nous invite à revoir nos priorités en matière de prévention. Pourquoi San Francisco réussit mieux que Londres ?

La présentation de Colin S. Brown (public health England, King’s College London) lors de la dernière conférence mondiale AIDS 2014 à Melbourne a retenu notre attention en ce qu’elle analyse comment deux cités aux communautés gay très dynamiques et un temps comparables en matière d’épidémie à VIH, endémique dans les deux cas, ont pu diverger fortement au cours de la dernière décennie. Voici le compte rendu de cette présentation.

Évolution divergente entre deux villes : pourquoi le contrôle du VIH chez les hommes ayant du sexe avec des hommes (HSH) diverge depuis 2006 entre Londres et San Francisco (SF) ?

Même si leurs populations gay sont très différentes (64 000 HSH à SF et 234 000 HSH à Londres), leur prévalence de l’infection à VIH dans ces populations est très proche (13 000 séropositifs au VIH à SF, 14 000 à Londres soit 24% à SF et 9% à Londres). Leurs histoires ont pu s’écrire en parallèle pendant longtemps mais divergent singulièrement depuis la dernière décennie. Il devenait dès lors intéressant d’analyser cette divergence et tenter d’en déterminer les raisons.

En matière de directives de prise en charge de l’infection à VIH, le traitement est accessible quel que soit le compte de lymphocytes CD4 dans le sang à SF aujourd’hui suite à une progression des recommandations locales dès 2010 et nationales en 2012. A Londres, les directives fixent à 350 CD4 le seuil en dessous duquel les séropositifs ont accès à un traitement. La dynamique de l’épidémie montre à SF une régression du nombre de nouveaux diagnostics et du nombre de non diagnostiqués tandis qu’à Londres ces paramètres sont globalement stables.

Nouveaux diagnostics : les valeurs sont relativement stables à Londres entre 2006 et 2012 entre 5,5% et 6% tandis qu’on constate une baisse importante à SF de 7% à 5,8% dans la même période puis jusqu’à 4,4% en 2013. L’incidence à Londres a donc une tendance à l’augmentation bien que les données soient peu précises tandis qu’elle est sensiblement orientée à la baisse à SF.

Infection non diagnostiquées : la quantité estimée est en baisse dans les deux villes mais tandis qu’elle décline lentement au tour de 20 à 25% à Londres, la proportion a chuté de 21,7% à 7,5% à SF et la proportion des infections récentes (moins de 6 mois) dans les nouveaux diagnostics est bien plus importante à Londres qu’à SF.

C’est ce qui nous a amené à analyser et à comparer les comportements et prises de risque, le dépistage et la couverture de traitement dans les deux villes entre 2004 et 2012 pour tenter de trouver des explications.

Eléments d’analyse et de comparaison

Bien que Londres ait un réseau gay plus étendu et plus dilué, la géographie d’implémentation des gays est assez similaire entre les deux villes avec un cœur bien défini, Vauxhall à Londres et Castro à SF. Ce sont aussi dans ces quartiers que l’incidence est la plus élevée mais qui sont aussi la cible privilégiée pour les actions et les messages de prévention.

Si l’on s’intéresse aux données de nouveaux diagnostiqués au cours de ces années, on constate une situation assez statique, l’âge moyen au diagnostic étant resté stable autour de 34 ans à Londres et 37 ans à SF. Le compte de CD4 au diagnostic est sensiblement inférieur à SF mais cela peut être attribué aux différences de mode de collecte des données, celle de SF se situant à l’entrée dans le soin et non au diagnostic. On observe une augmentation sensible de cette valeur moyenne au cours des dernières années, similaire dans les deux villes.

En matière de dépistage, on observe une plus grande régularité de dépistage à SF. Les Londoniens sont 50% (42,8% en 2004 vs 58,2 en 2012) à déclarer pratiquer un test régulier tous les ans tandis qu’ils sont 69% à 72% à SF et plus encore 44,1% à 57,8% l’ont fait dans les six derniers mois. La couverture de test a donc évolué de 82,2% à 91,8% à Londres et de 96% à 97,2% à SF. Le recueil de tests réalisés dans les cliniques londoniennes montre qu’il y a eu une forte évolution de 2004 à 2012 du nombre de séronégatifs testés (12,1% à 16,9%) mais cette proportion est de plus du double à SF évoluant de 26,4% à 28,9%. Ces valeurs sont probablement plus élevées en réalité si l’on prenait en compte tous les modes d’accès aux tests. Par ailleurs, les cliniques rapportent 28% de renouvellement du test tous les six mois à SF contre 39% de renouvellement tous les 12 mois à Londres. Des données disponibles assez disparates mais qui montrent tout de même un recours au test plus important et plus répété à SF.

Les comportements à risque ont été comparés grâce aux résultats des études comportementales sur les rapports sexuels non protégés menées dans les deux villes. Ces données suggèrent une sensible prise de risque plus importante à Londres chez les séronégatifs. En effet, selon le déclaratif des enquêtés, on observe dans les deux villes des rapports non protégés en nombre importants entre partenaires présumés de même statut mais sensiblement plus fréquemment à Londres qu’à SF. Il en est de même entre partenaires présumés de statut différents ou inconnus bien qu’à Londres ces valeurs soient en décroissance. Les diagrammes présentés par C.S. Brown montrent quatre courbes pour chaque ville représentant l’évolution des déclarations de sex non protégé des séropositifs (lignes pleines) et des séronégatifs (lignes discontinues) avec un partenaire présumé du même statut (lignes du haut) ou de statut inconnu ou différent (lignes du bas).

self reported condomless
STIs largely concentrated in HIV MSM

Ce sont des résultats qui se reflètent plutôt fidèlement dans les courbes d’évolution de la transmission des IST (ici, les gonorrhées et les syphilis). En effet, ces données suggèrent plus de contacts entre séropositifs et séronégatifs à Londres tandis que l’évolution montre une certaine indépendance de diffusion des IST entre séropositifs et séronégatifs à SF.

Si l’on observe les cascades de prise en charge en prenant l’année 2010 comme référence, les résultats londoniens sont meilleurs, montrant que 96% des séropositifs sont pris en charge à Londres contre seulement 76,9% à SF et, de même, 81,7% des séropositifs londoniens ont atteint la suppression virale contre seulement 65,1% à SF. Cependant la faiblesse londonienne se situe dans la proportion trop importante de séropositifs non dépistés (moins de 80% contre 90% à SF) tandis que le point faible de SF est le maintien dans le soin qui se dégrade au cours du temps et aboutit à une proportion faible de personnes en suppression virale. Ce qui fait la différence ici est certainement le système de couverture des soins médicaux. A Londres les malades sont pris en charge à 100% par le système public du NHS tandis qu’à SF ils bénéficient d’un système municipal, « Healthy San Francisco », dont l’aide est dépendante des ressources.

La prévalence de l’hépatite C, bien que les estimations laissent penser que les deux villes sont comparables, montre que l’épidémie à SF est plus ancienne et plus stable (3.5% en 2006 à London vs 4.5% en 2011 à SF). L’étude de Sigma Research « Chemsex study » sur les usages de drogue estime que le risque d’infection par l’hépatite C est élevé à Londres et a constaté un ratio de réinfection par l’hépatite C de 25% sur deux ans dans une clinique londonienne. Par ailleurs, durant l’épisode de flambée de la LGV (une IST sévère), les recueils de données ont montré jusqu’à 76% d’usage de drogues récréatives et 31% d’usage de drogue injectables chez les personnes testées. L’an dernier dans le district de Vauxhall on estimait l’usage de Crystal Meth à 13,6% et l’injection à 3,6% des personnes testées. A SF, l’usage du Crystal Meth est estimé à 10 à 12% et est en déclin.

Discussion

Il faut bien entendu rester vigilant dans la comparaison entre les deux villes dans la mesure où les populations étudiées sont différentes en nombre et les études pas toujours très comparables. Néanmoins, la proportion sensiblement plus réduite d’infections au VIH non diagnostiquées et de nouveaux diagnostics à SF peut être due à la plus grande proportion de HSH séronégatifs déclarant faire un test au moins annuellement et ayant une pratique du safer sex plus conséquente bien que le maintien dans le soin des séropositifs et le taux de suppression virale soient meilleurs à Londres.

Ceci met en exergue l’importance cruciale qu’il y a pour la prévention à atteindre un taux de dépistage et de connaissance de son statut très élevé. Mais on voit aussi combien il est nécessaire de combattre le mythe du sérotriage entre partenaires séronégatifs.

L’épidémie londonnienne chez les HSH est largement due au nombre élevé de nouvelles infections aigues et non traitées ainsi qu’à un apport migratoire important vers Londres (20% des nouveaux diagnostics en 2011). Pour atteindre des niveaux de dépistage et de connaissance de son statut proches de ceux de SF il serait necessaire d’implémenter de nouvelles strategies de prevention à Londres en tenant compte de la population plus importante, moins concentrée et à plus faible prevalence, en utilisant tous les medias ciblés disponibles.

Par ailleurs, il serait necessaire de poursuivre ce type d’analyse en tenant compte de la prise de traitement, de la charge virale et de l’usage des PrEP.

Sources :

Parmi les nombreuses sources utilisées pour cette analyse on peut citer :

Pour Londres : Gay Men’s Sexual Health Survey (UCL), Gay Men’s London Gym Survey, Gay Men’s Sex Survey (SIGMA), National Survey of Sexual Attitudes and Lifestyles II, Office of National Statistics, PHE Genitourinary Medicine Clinic Activity Dataset (GUMCAD), PHE HIV and AIDS New Diagnoses Database (HANDD), PHE Multi-Parameter Evidence Synthesis (MPES), PHE Recent Infection Testing Algorithm (RITA), PHE Survey of Prevalent HIV Infections Diagnosed (SOPHID).

Pour San Francisco : CDC HIV Surveillance data, Consensus Meetings on HIV/AIDS Incidence and Prevalence in California, National HIV Behavioural Surveillance Survey, San Francisco AIDS Foundation, SFDPH STD data, SFPDH HIV Prevention data, SFPDH HIV Epidemiology data, STOP AIDS Project, UCSF, United States Census Bureau.

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Stop Aids : Exemples de campagne à San Francisco sur les incertitudes du sérotriage entre partenaires séronégatifs

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Et si l’on osait la comparaison avec Paris ?

Certes San Francisco ou Londres ne sont pas aussi comparables à Paris. Pourtant en lisant cette enquête, on se rend bien compte que Paris ressemble bien plus à Londres qu’à San Francisco et que certains aspects abordés nous parlent et même nous visent.

L’efficacité de l’offre de dépistage est loin de nous permettre d’atteindre les inflexions de courbe que connait San Francisco et l’on aurait pas tant de mal à reconnaître nos estimations parisiennes dans les valeurs d »évolution des rapports à risque ou de montée des IST.

Quant à la mise en garde de Colin S. Brown sur le mythe du sérotriage entre partenaires séronégatifs, il peut aussi bien s’appliquer en France.

Au delà des leçons à tirer en matière de campagnes de prévention, il y a aussi dans cette brillante analyse d’excellents exemples de la façon dont il faut comprendre et confronter les données pour peu qu’on les recueille.