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Chemsex : quels enjeux pour la prévention ?

par | 27.11.2018

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Depuis 2010, la pratique du chemsex a pris de l’ampleur dans la communauté gay et il est plus que fréquent de voir sur les applications de rencontre des personnes cherchant spécifiquement du sexe sous influence de produits. Le développement de cette pratique ne vas pas sans risque, que cela soit en terme de contaminations VIH mais aussi des autres IST ou plus spécifiquement de l’hépatite C.

En parallèle de ces pratiques, l’arrivée de la PrEP en France en 2015 a fait à la fois évoluer le paradigme « tout capote » de la prévention mais aussi permis à toute une partie de la population qui ne l’utilisait plus pour une quelconque raison de renouer avec la prévention et le dépistage.

Après une dizaine d’années on commence à voir apparaître quelques études qualitatives et quantitatives sur les problématiques que peuvent engendrer la consommation de produits psychoactifs dans un cadre sexuel. Reactup propose donc de regarder un peu plus en détail ce qui se dit sur la relation prévention des risques sexuels et pratique du Chemsex dans la population gay.

Chemsex, de quoi on parle ?

En 2010, une étude faites par internet auprès de la population HSH dans près de 44 villes européennes montre une montée en puissance d’un phénomène qu’on qualifie alors de Chemsex [1]. Celui-ci est alors défini comme l’usage de n’importe quelle combinaison de produits psychoactifs incluant le Crystal Meth, la mephedrone ou le GHB, avant ou pendant une relation sexuelle entre hommes.

Presque 10 ans plus tard, la pratique et le public ont évolué. Les produits se sont diversifiés, on retrouve des nouveaux produits de synthèse tels que les cathinones ( 3MMC, 4MEC …), le GHB a quasiment disparu de la circulation remplacé par le GBL et la cocaïne, la MDMA ou la kétamine sont fréquents dans ces plans. D’abord concentré sur un public de personnes séropositives de plus de 40 ans, cela concerne maintenant toutes les tranches d’âge et le statut sérologique est moins marqué. De plus, la pratique dites du « slam » ( injection par voie intraveineuse dans un contexte sexuel) s’est développée fortement.

Une étude faite en 2017 en Belgique pour l’Observatoire National du Sida et des sexualités par Jonas Van Acker explique que « l’usage de produits psychoactifs amplifie la confiance (en soi et en l’autre) chez les usagers et améliore leurs compétences de communication. Sans doute pour les minorités sexuelles, cette volonté d’échapper aux pressions normatives de la culture hétérosexuelle et à la stigmatisation. Le chemsex permet de dépasser certaines barrières psychologiques liées à l’environnement social (l’anxiété sociale) ou culturel induites par une forme d’homo-scepticisme ou d’homophobie intériorisée. » et de continuer « les produits psychoactifs utilisés dans le cadre de plans chems permettent d’augmenter les performances et le plaisir sexuel ressenti » [2].

Quels sont les risques associés au chemsex ?

Ils sont multiples et liés à de nombreux facteurs. Il y a évidemment tout d’abord une problématique liée à la consommation à outrance de produits psychoactifs addictogènes qui peuvent entrainer une dépendance problématique sur la vie sociale, sexuelle, professionnelle et affective mais aussi des troubles physiques et/ou psychiques liés à la nature du produit consommé : dépression, sentiment de persécution, paranoïa, idées suicidaires, troubles érectiles, problèmes cardiovasculaires, etc… [3]

À ces risques d’addictions, il faut ajouter une augmentation potentielle des prises de risques sexuelles pouvant amener à des contaminations au VIH, Hépatites et autres IST. En effet, les plans chems étant associés avec une sexualité très souvent multipartenaires et avec un usage non systématique du préservatif, c’est alors une population à haut risque par rapport à un public non chemsexeur.

Alors qu’en 2010, les chemsexeurs avaient un statut sérologique plutôt identique et pratiquaient souvent le sérotriage (de manière consciente ou non), on assiste à un mélange beaucoup plus important que ce soit en terme d’âges, de pratiques, et de sérologies. La problématique ne vient pas des personnes séropositives puisque l’on sait aujourd’hui, et c’est scientifiquement accepté, qu’une personne séropositive sous traitement n’est pas contaminante et qu’elle bénéficie d’un suivi permettant de casser rapidement les contaminations par d’autres IST. C’est plutôt les personnes séro-interrogatives (ne connaissant pas leur statut sérologique suite à des pratiques à risques) qui peuvent potentiellement être contaminantEs ou pas.

Le cumul de la prise de produits, qui sur la durée peut amener une dévalorisation de soi-même et donc une augmentation des risques, la fréquence et la multiplicité des rapports sexuels avec des personnes qui appartiennent à une population avec une charge virale communautaire [4] élevée soulève nécessairement des inquiétudes et exige donc des réponses adaptées.

PrEP et TASP sont-ils suffisants pour éviter les contaminations au VIH dans cette population ?

De nombreuses études ont permis d’analyser l’utilisation de la PrEP et du TASP dans un groupe ciblé de personnes pratiquant le chemsex.
En réutilisant les données croisées de l’essai Ipergay, constat a été fait qu’environ 30% des participants pratiquaient le chemsex de manière occasionnelle et 16% ont déclaré le pratiquer à tous les questionnaires de suivi. Dans ces questionnaires, on a pu identifier le fait que la population chemsexeur avait potentiellement des pratiques à risques plus fréquentes et donc une exposition plus importante au VIH et autres IST.
L’essai Ipergay a permis aussi de pouvoir analyser l’adhésion de cette population séronégative à la PrEP, c’est à dire le respect des prises régulières, la tolérance vis à vis du Ténofovir/Emtricitabine associé à une prise de produits psychoactifs, et donc de savoir si c’était un outil efficient pour éviter de possibles contaminations.

Plusieurs résultats en sont sortis que l’on retrouve dans une publication parue en octobre2018 [5]. La première chose à retenir est que c’est une population qui s’expose certes beaucoup mais en a conscience et de par là même, connait les outils nécessaires pour se protéger. En effet, bien que les risques soient plus fréquents, on constate un recours beaucoup plus important au Traitement Post Exposition, et un recours à la PrEP plus important.

En dehors de l’intérêt premier de la PrEP qui est la protection contre les contaminations au VIH, il faut aussi souligner que le process de délivrance et de suivi est aussi un point d’entrée intéressant pour élaborer des stratégies de réduction des risques et de prévention face aux autres IST mais aussi face à la prise de produits psychoactifs. La PrEP n’est pas que l’ingestion d’un comprimé régulier c’est aussi une mise à plat de sa santé sexuelle et une possible identification d’autres problèmes, en particulier avec le chemsex où on retrouve des pratiques sexuelles dites de hardsex comme la pratique du fistfucking qui peut clairement créer des fissures et autres lésions anales, autant de portes d’entrées pour le VIH et autres IST.

L’étude démontre que l’adhésion à la PrEP est facile pour les chemsexeurs, d’ailleurs on peut aussi dire que le constat a pu être fait que les personnes séropositives n’avaient pas de rupture de traitement spécifique, une chose reste à surveiller cependant, ce sont les interactions possibles entre ARV et drogues récréatives ou tout ce qui est benzodiazépine et produits érectiles. En effet, on sait que les boosters d’antirétroviraux, le Ritonavir et le Cobiscistat, qui augmentent la concentration des ARV dans le sang, font de même avec d’autres produits, pouvant amener à des overdoses. Il en est de même avec les Inhibiteurs non-nucléosidique de la transcriptase inverse (INNTI) qui poussent le foie à dégrader plus rapidement certains produits, avec comme conséquence une envie d’augmenter les dosages et donc d’amener des consommations plus à risques [6].

Quid de l’hépatite C ?

On assiste, en corrélation ou non avec les pratiques de Chemsex, à une augmentation des cas de VHC dans la population gay. Il est évident que la pratique du slam avec des échanges possibles de matériel (ce qui est devenu une évidence dans la population traditionnelle des personnes injectrices ne l’est pas forcément dans la population gay, moins touchée par les campagnes de réduction des risques liées au partage de seringues et du petit matériel entourant l’injection) et des pratiques plus hard, sont le terrain propice aux contaminations par le VHC.

Une étude faites à Manchester en 2014 [7] sur une population HSH se rendant dans des centres de dépistages pour le VIH montre une prépondérance des contaminations parmi ceux qui pratiquent le chemsex. Au delà de la question même du VHC, qui est aujourd’hui soignable par un traitement rapide, cela pose la problématique des co-infections chez les personnes déjà séropositives et le fait de systématiser le dépistage de cette pathologie dans toute la population gay mais aussi d’arriver à construire un discours de réduction des risques concernant la consommation de produits psychoactifs.

Le phénomène du Chemsex est en augmentation certaine dans la population gay et même au delà, dans les cercles libertins. Bien que pour le moment on ne peut pas dire qu’il faut céder à la panique sur les questions des contaminations au VIH, il est, par contre, évident qu’il faut se pencher plus sérieusement sur la question de la cause de l’émergence et du développement de ces pratiques dans la communauté gay et des conséquences que cela peut avoir sur la vie affective, sociale, familiale et professionnelle dans une population déjà soumis à la stigmatisation et avec une santé mentale déjà fragile [8].

Notes de l'article :

[1] Schmidt AJ, Bourne A, Weatherburn P, et al. Illicit drug use among gay and bisexual men in 44 cities : Findings from the European MSM Internet Survey (EMIS)

[2] Une recherche exploratoire sur le chemsex parmi les gays, bisexuels et autres HSH dans la Région de Bruxelles-capitale (Jonas Van Acker, 2017)

[3] Pour plus d’informations sur les produits : le site de Techno +

[4] Virginie Supervie, Charge virale communautaire : de l’idée à la réalisation in Transcriptases n°147, hiver 2011/2012

[5] Perrine Roux, Lisa Fressard, Marie Suzan-Monti, Julie Chas, Luis Sagaon-Teyssier, Catherine Capitant, Laurence Meyer, Cécile Tremblay, Daniela Rojas-Castro, Gilles Pialoux, Jean-Michel Molina, et Bruno Spire, Is on-demande Pre-exposure Porphylaxis a Suitable Tool for Men Who Have Sex With Men Who Practice Chemsex ? Resultats From a Substudy of the ANRS-IPERGAY Trial, Acquir Immune Defic Syndr, Volume 79, n°2 Octobre 2018

[6] « Traitements contre le VIH et drogues récréatives : interactions potentiellement dangereuses (methamphétamine, méphédrone, MDMA ou kétamine) » sur vih.org

[7] G Ireland, S Higgins, B Goorney, C Ward, S Ahmad, C Stewart, R Simmons, S Lattimore, V Lee, Evaluation of hepatitis C testing in men who have sex with men, and associated risk behaviours, in Manchester, Uk, Sex Trans Infect, january 2017

[8] Gilbert Gonzales, Julia Przedworski, Carrie Henning-SmithComparison of Health and Health Risk Factors Between Lesbian, Gay, and Bisexual Adults and Heterosexual Adults in the United States,JAMA Intern Med, 2016.