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CROI 2016 : dernière journée

par | 23.03.2016

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Depuis la CROI (Conference on Retrovirus and Opportunistic Infection) 2016 à Boston, voici quelques repères de la journée de jeudi.

Cette dernière journée a rassemblé des participants de la conférence autour d’une multitude de thèmes et de présentations. Il faut bien le dire, c’est parti dans tous les sens. A se demander si les organisateurs n’ont pas fourgué tout ce qui restait dans cette journée pour s’assurer que tout le monde y trouverait son compte. Face à ce constat, il était tentant de procéder à l’inverse et de prendre dans ce paysage hétéroclite ce qui semblait le plus cohérent. Voici donc en deux parties, une plénière du matin et un symposium du soir qui brossent un tableau de l’épidémie et des sujets qui font débat aujourd’hui.

Rien n’est jamais acquis tant que tout n’est pas terminé

Si l’on regarde les courbes épidémiologiques américaines par mode de contamination, les usagers de drogue sont probablement la population la moins touchée aujourd’hui et celle qui semble causer le moins d’inquiétude avec une baisse de 64% des nouveaux cas en 10 ans, 6% de l’ensemble en 2014. C’est encore plus impressionnant quand on remonte un peu plus loin, en 1991 où les injecteurs de drogue représentaient 31% des contaminations.

Ceci, c’est le préambule de notre orateur de ce matin, John T. Brooks (CDC Atlanta), préambule à une histoire qu’il est venu nous raconter. Celle d’une petite ville de l’Indiana, un état des Etats-Unis bien tranquille au milieu de la carte, un peu en dessous des grands lacs, la ville d’Austin, 4200 habitants situé dans le comté de Scott 24000 habitants. Cette ville a 9% de chômage et un cinquième de la population vit dans la pauvreté et autant n’a pas fait d’études. De plus beaucoup de monde n’a pas d’assurance santé. Début 2015 on a relevé 11 nouvelles infections au VIH dans un endroit où d’habitude on en recensait une par an. En février 2016, il n’y avait pas moins de 188 nouveaux diagnostics de VIH dont 90% co-infectées par le VHC. Une collaboration intense entre autorités locales, de l’état et fédérales a été nécessaire en collaboration avec les communautés locales afin de comprendre et instaurer les mesures nécessaires. Ce qui a été découvert c’est que la source était une communauté d’usagers injecteurs de drogue, consommant un opiacé à usage médical. Les personnes concernées étaient au deux tiers des hommes de moyenne d’âge 34 ans, blancs non hispaniques à 99%. Ce type de population représente dans les statistiques aux Etats-Unis un tiers des usagers de drogue injectable vivant avec le VIH. Les pratiques découvertes à Austin sont celles de groupes partageant leurs seringues et leurs produits par mesure d’économie en réalisant 4 à 15 injections par jour dans des groupes d’en moyenne 6 personnes.

En un peu plus d’un an, on peut distinguer quatre phases. La première a consisté à identifier le problème. La deuxième, celle pendant laquelle on découvre le plus de nouvelles contaminations et durant laquelle sont mises en place les mesures sanitaires nécessaires, déploiement d’une offre de dépistage active ne négligeant pas les niches comme les prisons et s’étendant aux contés voisins, avec des équipes de terrain proposant du dépistage rapide et des conseils en porte à porte et orientant les personnes diagnostiquées vers des structures de prise en charge et de soin ou de prévention et de réduction des risques orientés vers l’usage de drogue. La troisième phase fut celle de la consolidation de ces dispositifs et le suivi des personnes tandis que le nombre de nouveaux diagnostics chute. Il faut bien se rendre compte qu’en février 2016, on était arrivé à Austin à une séroprévalence de 4,6% et dans le comté de Scott de 1,0%. Pour bien comprendre ce que ça représente, il faut rappeler que la prévalence la plus forte aux Etats Unis dans des villes comme New-York, San Francisco ou Miami est de 0,8 à 1%. Enfin, dans la phase la plus récente, plusieurs nouveaux cas ont été diagnostiqués en prison chez des personnes qui avaient décliné l’offre de dépistage initiale et qui ont été incarcérés entre temps. Un seul nouveau cas a été découvert chez une personne plutôt isolée.

Les analyses phylogénétiques en laboratoire ont montré que les souches virales de 157 personnes infectées étaient similaires à 99,7% et comparables aux souches connues de l’Indiana dans les banques de données. Cela et le fait que 85% des infections étaient récentes montre qu’il n’y a eu qu’une dissémination locale et concentrée, vraisemblablement sur 6 à 7 mois.

Cette histoire soulève un certain nombre de questions. La majorité des personnes touchées n’avaient pas d’assurance santé et n’avaient pas d’information sur les programmes publics de prise en charge médicale. Ce groupe de gens n’avait pratiquement aucune information sur le VIH et ses conséquences. Il n’y a dans la région pratiquement aucun médecin de ville compétent sur les infections virales comme le VIH ou l’hépatite C. Il n’y avait aucun service aux usagers de drogue dans la ville, le plus proche étant à 45 minutes de route. Et peu de chances que le groupe concerné prenne la voiture pour aller dans la prochaine ville, ce que tout Américain moyen aurait fait, ils n’ont pas les moyens de se payer le permis ou d’acheter une voiture. Et comble de l’histoire, il n’y avait aucun programme d’échange de seringues simplement parce que l’état de l’Indiana l’interdisait.

Le gouverneur de l’Etat, face à la situation, a promulgué une loi autorisant l’échange de seringues. Et tout récemment, le 6 janvier 2016, la loi fédérale a évolué, autorisant le déploiement de programmes d’échanges de seringues au niveau fédéral si la situation sanitaire le requiert.

Alors, pourquoi cet événement a-t-il existé ? Il faut prendre en compte l’explosion récente de l’usage détourné d’opiacés médicaux aux Etats Unis, constater qu’en 2009 la courbe de mortalité par overdose a dépassé celle par accidents de la route. Mais si les opiacés représentent une part très importante, il faut aussi constater l’augmentation sans cesse croissantes de la prescription d’opiacés dont la courbe des ventes suit la même progression que celle des prescriptions et des décès par overdose depuis 15 ans. Sur le plan épidémiologique, on constate une incroyable progression de l’hépatite C suggérant un usage de drogues injectables aux Etats-Unis avec en particulier une progression plus importante en zones non urbaines. Le cas de l’Indiana ne semble pas si isolé qu’on peut le penser. L’histoire nous montre que le développement des épidémies de VIH et d’hépatite chez les usages de drogue est extrêmement rapide et peut atteindre 80% d’un groupe en à peine un an. Les mesures de réduction des risques ont largement fait leurs preuves. Avec l’usage de substituts aux opiacés, on sait aujourd’hui qu’elles sont d’une efficacité prouvée dans la réduction des contaminations.

Quelles leçons tirer de cette histoire ? Il faut réduire la vulnérabilité aux événements exceptionnels en soutenant les programmes de réduction des risques des usages de drogue qui assurent une vigilance par leur connaissance des communautés. Il faut se donner les moyens d’une surveillance des événements épidémiologiques inhabituels à travers les sites sensibles, services de dépistage, prisons, hôpitaux. Il faut être préparé à répondre à des crises locales notamment en matière de réponse réglementaire.
L’affaire de l’Indiana a été dévastatrice alors qu’elle pouvait être prévenue. D’autres communautés sont à risque et leur nombre pourrait aller croissant. Cette histoire peut se reproduire mais si on s’y engage, on peut l’empêcher.

Sida : quels sont les points chauds ?

Conclure la CROI 2016 sur cette session donne le vertige. À la fois parce qu’on mesure l’immensité des problèmes mais aussi celle des avancées réalisées par l’ensemble des acteurs de la lutte contre le sida. Certes tout n’y a pas été dit, très loin de là, et ce n’était sans doute pas l’ambition de Mickael Z. Chirenje (Univ du Zimbabwe et UCSF) et Shannon H. Hader (CDC, Atlanta), les organisateurs de la session, mais sans doute plus de rassembler quelques éléments capables d’amener à réfléchir sur ce qui nous attend si nous voulons réaliser l’objectif d’éradiquer l’épidémie dans les 15 prochaines années selon le vœu de l’ONuSIDA.

Peter Jhys (UNAIDS) : Localisation des populations touchées par le VIH : qui et où ?

Ce spécialiste de l’épidémiologie de l’ONUSIDA a expliqué de manière on ne peut plus méthodique les méthodes utilisées par l’organisation internationale pour suivre le développement de l’épidémie et adapter les réponses au plus près des besoins des populations. Ce qu’il nous montre, c’est que par une approche très populationnelle, on arrive à dresser des cartes de localisation des populations les plus touchées, des foyers d’infection les plus prégnants et ainsi de pouvoir construire des réponses sur le terrain bien plus adaptées qu’en raisonnant par pays ou par zone géographique. On voit ainsi dans ses exemples que pour des pays comme l’Ouganda ou la Tanzanie, l’épidémie se concentre dans certaines régions très localisées. C’est sans doute l’insuffisance des moyens qui fait choisir un meilleur ciblage des actions même si la question se pose plus en termes d’utilisations rationnelles des moyens face à un besoin difficile à couvrir. Ce sont d’ailleurs les principaux bailleurs, le PEPFAR ou le Fonds Mondial qui réclament et utilisent ces données pour cibler leurs actions. Le détail des études et des enquêtes n’est pas que géographique, il concerne aussi les mesures d’incidence et le résultat de l’efficacité des traitements. Il permet aussi de connaître l’efficacité des programmes de prise en charge de la prévention de la transmission mère-enfant.

Les populations clés, HSH, travailleurEUSEs du sexe et injecteurs de drogues doivent aussi être pris en compte dans le détail des analyses. Ils sont même un signe tangible de l’efficacité et de l’adéquation des problèmes et peuvent aussi inclure des particularités locales. Parmi les exemples détaillés par l’orateur, les injecteurs de drogue en Ukraine dont la carte montre clairement une répartition très hétérogène, atteignant dans certains endroits jusqu’à 30% de prévalence. La carte du Viêt-Nam montre aussi de telles disparités indiquant là où l’action est primordiale. En Inde, la carte de répartition des travailleuses du sexe se superpose à celle de la prévalence du VIH dans ce groupe, particulièrement concentrée dans certaines grandes villes centrales. Pour les HSH, les exemples montrent au Viêt-Nam ou au Ghana une extrême concentration dans les grandes villes avec une prévalence dans ce groupe de 34% dans la capitale (Ghana). Même si les données peuvent apparaître parfois incomplètes ou trop peu détaillées, il faut bien se rendre compte qu’il y a dix ans, on n’avait rien du tout sur des sujets comme ceux-là.

Il est clair que ce type d’évaluation est amené à se généraliser et à se normaliser dans les prochaines années pour permettre une efficacité plus grande des programmes. On disposera bientôt de cartes pouvant faire apparaître les disparités, donc les insuffisances ou des situations spécifiques, de la répartition des antirétroviraux, du succès virologique des traitements ou mieux analyser les programmes de circoncision, la distribution et l’usage de préservatifs ou encore la prévention de la transmission mère-enfants. Bien entendu cela ne va pas sans se poser des questions de qualité des données mais aussi de ce qu’elles ne montrent pas, notamment à propos des migrations de population.

Ces outils de grande précision sont la clé de la lutte contre le sida et représentent une aide considérable à la décision des états comme des ONG pour l’atteinte des objectifs de l’ONUSIDA.

Zachary A. Kwena (Institut de recherche médicale du Kenya) : Les communautés de pêcheurs

Le deuxième orateur de la session ne semble pas un habitué des grandes conférences ni des longues présentations orales. Il finira par lasser les moins passionnés de l’auditoire de cette fin de conférence. Dommage. L’écouter détailler son travail minutieux donne vraiment à réfléchir sur la façon dont il faut s’approprier un sujet, comprendre une population, ses usages et ses traditions, surtout quand à la clé il s’agit de mener une action pour la santé et le bien être de ces communautés.

Celles dont il nous parle ce soir, ce sont les communautés de pêcheurs. Huit cent millions de personnes dans le monde vivent de la pêche et de l’élevage de poisson, essentiellement en Asie et 10% en Afrique. La pêche est une activité en décroissance essentiellement à cause de la diminution des ressources. Elle représente 6% des ressources nutritionnelles de l’Afrique. La plus grande part de la production africaine est organisée par des institutions créées par les gouvernements et attirent des populations locales sur les lieux d’exploitation. Ce sont le plus souvent des hommes jeunes qui pêchent tandis que les femmes sont plus impliquées dans les activités de transformation et de commerce. Les pêcheurs sont le plus souvent célibataires et nomades et leurs conditions de vie les exposent à un risque de contracter le VIH. Nos études ont montré qu’ils sont ainsi trois fois plus à risque d’être séropositifs, plus susceptibles de consommer de l’alcool et des drogues, essentiellement de la marijuana, et ont souvent des comportements sexuels à risque en étant impliqués dans le sexe transactionnel. Le processus est plus complexe que la simple prostitution puisqu’il y a souvent une affaire de business dans l’histoire, les femmes convoitant le produit de la pêche à des fins commerciales. L’utilisation de préservatifs est faible, de l’ordre de 20% et la vulnérabilité des femmes dans la négociation est grande. Du fait de la mobilité des pêcheurs, ils sont essentiellement multipartenaires.

L’histoire du VIH et des communautés de pêcheurs est ancienne. La prévalence du VIH dans ces groupes est, dans tous les pays, largement supérieure à celle de la population générale. Les pêcheurs ont d’ailleurs des prévalences comparables à d’autres groupes vulnérables, routiers, militaires, prisonniers, usagers de drogues. Dans leur profession, les pêcheurs et les personnes en charge du commerce de la pêche sont largement plus exposés que les personnes dans les autres activités liées à la pêche, personnel portuaire, agriculteurs marins et autres. Dans une étude menée au Kenya, on trouve 22% d’hommes mariés chez les pêcheurs dont les deux-tiers vivent en couple séroconcordant séronégatif et 15% concordant séropositif. 17% sont donc sérodiscordants. C’est d’ailleurs aux alentours du lac Victoria que l’on trouve les populations les plus touchées des pays limitrophes, Ouganda, Tanzanie, Kenya (entre 3,9 et 4,9% d’incidence). Les facteurs associés au risque VIH dans ces régions sont d’ailleurs tous ceux cumulés par les pêcheurs : consommation d’alcool, de marijuana, jeune âge, infection sexuellement transmissible et bien entendu durée d’activité dans la pêche.

L’intérêt de cibler les communautés de pêcheurs en particulier est clair. Ils représentent un vecteur clé dans les chaînes de transmission en raison de leurs relations avec les autres communautés, commerce et famille. Les structures de soins sont peu adaptées aux besoins des pêcheurs qui sont le plus souvent nomades, dispersés et peu accessibles dans leurs activités. Pourtant les tentatives de services adaptés se construisent, centres de recherche, associations familiales et même une station de radio. Ainsi une expérience de ce type affiche une réduction de l’incidence de 4% à 2,9% en 4 ans. Parmi les paramètres conduisant aux objectifs de l’Onusida, clairement, la question de la rétention dans le soin reste la plus préoccupante et demande des programmes dédiés tels que ceux que l’on essaye de développer au Kenya. Mais il reste encore beaucoup de marge d’amélioration en termes d’adaptation de l’accès aux structures de soins, d’implication des familles ou de programmes de prévention dédiés.

À une question de Kevin de Cock (directeur du programme VIH/SIDA de l’OMS), sur les pratiques HSH dans ce groupe, l’orateur répond assez évasivement que c’est rare, de l’ordre de 2%… Pas franchement moins qu’ailleurs, aurait-on tendance à lui rétorquer.

LaRon E. Nelson (Univ. de Rochester) : Sexe, stigmatisation et systèmes, questions mondiales sur les jeunes HSH.

Faut-il encore le répéter, les gays sont non seulement une population clé de l’épidémie mais c’est partout pareil dans le monde, ils sont plus vulnérables, plus exposés et plus atteints que les autres. Avant de rentrer plus dans les détails l’orateur rappelle quelques données essentielles à base de cartes du monde. Comme ces données résumant la situation en plusieurs points du monde sur la séropositivité au VIH des moins de 24 ans : au Canada, ils sont 24% des nouvelles infections dont 65% de HSH, au Royaume Uni, 5% de prévalence dont 62% de HSH, au Sénégal, 27% de HSH, au Ghana, 17,4% de HSH, en Chine, 1,7% de prévalence, 95% d’hommes, 75% de HSH. Alors certes, des données nous manquent surtout dans les pays du sud où la discrimination et la stigmatisation, voire la criminalisation, limitent le recueil de données précises au moins autant que les services ciblés. Mais le souci, c’est que l’on observe de plus en plus que c’est chez les jeunes que la crise est la plus grave. Aux Etats Unis, ce sont les 13-24 ans et les 25-34 ans qui représentent la majorité des nouvelles infections et pour les premiers la progression la plus forte ces dernières années (+ 26% entre 2008 et 2011) où les jeunes noirs/afro-américains représentent de loin la plus grande proportion.

Les adolescents ne sont pas de grands enfants ni de petits adultes. Ils demandent des programmes qui leurs soient spécifiques pour interpeller chez eux les questions de risque, de protection de soi mais aussi de discrétion et de comportements. Les expériences de confrontation à la stigmatisation, que ce soit celle des comportements ou des caractéristiques, sont à traiter de manière particulièrement spécifique. On observe par exemple au Kenya dans une population de jeunes HSH que pour la plupart des gens dans leurs communautés, le VIH est associé à la honte, le dégoût et le déshonneur, qu’on ne voudrait pas qu’un homme séropositif fasse la cuisine ou qu’on lui confie la garde des enfants. Et au comble, la moitié des HSH dans cette enquête, jeunes et vieux, sont d’accord pour affirmer qu’un HSH infecté par le VIH l’a mérité. La plupart d’entre eux étaient séronégatifs. Mais la stigmatisation à l’égard des séropositifVEs existe beaucoup dans le milieu du soin. Elle se traduit par des comportements de crainte, de jugement moral ou de précautions excessives souvent moins bien ressentis par les jeunes, à fortiori HSH. Ces stigmatisations sont-elles génératrices de stress ? Il est certain que leur impact est plus important chez les adolescents et en particulier chez les HSH. Et bien sûr, ces stigmatisations peuvent se cumuler avec d’autres sur les questions de santé, sociales, économiques ou légales. L’ensemble de ces stigmatisations ont un impact identifié et mesurable sur les jeunes HSH en matière de risque sexuel, de préoccupation de santé et de suivi de soins.

Que peut-on faire pour les jeunes en matière de prévention ? Réduire les barrières d’accès aux préservatifs, le prix, la qualité des produits et des lubrifiants, un sujet connu et identifié par les jeunes gays dans le monde entier ; permettre et adapter l’accès à la PrEP surtout par des approches culturellement adaptées aux HSH et aux jeunes. La stigmatisation doit être mieux étudiée, analysée et comprise en particulier chez les jeunes HSH afin de mettre en place des interventions pour contrecarrer les sources de stigmatisation sociale. Enfin, s’il y a un domaine auquel les jeunes gays sont très sensibles, c’est la manière dont ils sont traités dans le système de soins. Il y a une marge gigantesque d’améliorations à inventer pour aller vers les jeunes, ne serait-ce qu’en matière de communication. Pour illustrer son propos et pour conclure, l’orateur présente les images d’une app pour smartphone développée au Ghana permettant le suivi de programme de prévention ou encore de soins médicaux ou de résultats d’analyses et de tests développée en collaboration avec les jeunes du pays.

Julia Del Amo (Instituto de Salud Carlos III Madrid) : Le VIH et les migrants

Des migrants existent partout dans le monde mais se concentrent plus particulièrement dans certaines zones. Si la migration vers l’Europe est particulièrement importante, elle existe aussi à l’intérieur de l’Afrique. Nous nous intéresserons ici à la question du VIH et des migrants particulièrement vers l’Europe mais il sera aussi question des Etats-Unis.

Les origines des migrants sont très diverses comme le sont les raisons des migrations. L’ECDC, dans une étude épidémiologique réalisée entre 2007 et 2012 sur les migrants vers l’Europe, a répertorié 12 régions d’origine. Cette étude montre que 39% des diagnostics VIH recensés sont réalisés sur des personnes migrantes au lieu de diagnostic dont plus de la moitié sont d’origine d’Afrique sub-saharienne, 12% d’Amérique latine et des Caraïbes, 11% d’Europe centrale et de l’Est, 10% d’Europe de l’Est, 5% d’Asie et 8% d’autres régions. Si les personnes d’Afrique sub-saharienne dominent les migrants de la plupart des pays, ce sont plus des migrants latino-américains en Espagne et plus des régions voisines dans les pays de l’Est de l’Europe. Les modes de transmission ne sont pas les mêmes selon les origines, si les femmes hétérosexuelles dominent les migrants d’origine africaine, les HSH sont en majorité parmi les migrants d’origine latino-américaine. On constate aussi une baisse très nette des contaminations chez les hommes d’origine d’Afrique subsaharienne entre 2007 et 2012 tandis que les hommes séropositifs latino-américains et d’Europe de l’Est avaient tendance à augmenter. Des tendances que l’on observe pareillement chez les femmes de ces régions. La décroissance chez les Africains est plus portée par les personnes des pays de l’est et de l’ouest africain tandis que les séropositifs des pays d’Afrique centrale restent stables. Aux Etats-Unis, ce sont 16,2% des 191 697 diagnostics VIH recensés entre 2007 et 2010 qui le sont chez des personnes nées hors des Etats-Unis. Les pays d’origine sont majoritairement l’Amérique centrale (majoritairement le Mexique) puis les Caraïbes (surtout Haïti) et l’Afrique arrive en troisième position (en premier lieu l’Ethiopie).

Comprendre les raisons de la prévalence du VIH chez les migrants n’est pas une tâche facile. Il est plus facile de compter les diagnostics que de savoir à quel volume de population ils se rapportent, ce qui conduit facilement à des surestimations. Les sources d’informations sont variées et différentes selon ce que l’on veut obtenir. Les échantillons de population peuvent être entachés de nombreux biais de sélection dus aux origines ou aux facteurs socio-économiques mais aussi aux conditions de santé. Les facteurs influençant l’épidémie chez les migrants sont le pays d’origine, plus particulièrement l’état de l’épidémie dans ce pays, mais aussi les comportements des personnes durant la migration et les conditions de celle-ci. Mais doit être aussi pris en compte les comportements et le contexte des pays de destination. L’image traditionnelle de migrants d’Afrique contaminés par le VIH a été fortement contredite par nombre d’études sur les contaminations post-migration à Londres, à New-York et dans l’étude « Parcours » française. C’est aussi largement observable chez les migrants HSH d’Amérique latine. De l’étude européenne aMASE de l’ECDC soutenue par l’EATG sur la santé des migrants en Europe, on peut affirmer que 75% des migrants HSH et 50% des hétérosexuels ont acquis le virus post-migration.

Quelles stratégies peut-on envisager pour réduire le risque et maintenir la santé des populations migrantes séropositives ? Pour viser l’objectif de fin de l’épidémie de l’ONUSIDA il faut être capable de supprimer les barrières qui limitent l’accès au dépistage et aux soins des migrants. Ces barrières sont gigantesques, qu’elles soient structurelles, culturelles ou au niveau des communautés. Elles sont d’ordre socio-économiques, légales et règlementaires, dues à la stigmatisation et la discrimination, culturelles et linguistiques ou selon le genre. D’un point de vue de santé publique il est inconcevable de dépister sans pouvoir orienter vers le soin et prendre en charge ceux qui le nécessitent. La règle doit être celle de l’accès au dépistage et aux soins des migrants de toutes origines quel que soit le statut légal ou administratif. Cet accès constitue actuellement le goulot d’étranglement de la lutte contre le sida en Europe. Il faut réussir à réduire le dépistage tardif des migrants, une nécessité observée à travers les cohortes européennes COHERE et EuroCoord qui montrent clairement que tous les migrants, hommes et femmes, ont débuté un traitement avec un compte de CD4 inférieur à celui des populations locales. De même on observe une moins bonne réponse aux traitements chez les migrants Africains et caribéens. Et pourtant, on observe une mortalité plus faible des migrants qui suivent un traitement.

Malgré les recommandations faites par toutes les instances de santé nationales et internationales depuis des années, l’accès universel au dépistage et aux traitements des migrants est loin d’être une réalité. La moitié de l’Europe refuse l’accès aux traitements aux migrants sur leur sol. Et l’oratrice de conclure : « je vous laisse avec cette question : est-il éthique de tester et de ne pas traiter ? ».

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